Fais-moi jouer, fais-moi jouir

Quelle place le sexe occupe-t-il dans les jeux vidéos ? D'accessoire agréable, il peut aussi accéder au rang d'élément essentiel du gameplay.

Difficile d’avoir raté ces derniers jours les controverses autour de We dare, un party game coquin développé par Ubisoft et à jouer entre couples.  Loin d’inviter à prendre parti,  ces polémiques inspirent davantage une analyse sur le rapport entre ces deux mots à 4 lettres : le sexe et les jeux (et, enfin, un clin d’œil au nom de ce blog, il était temps !).

Chaque mois, d’après Google AdWords, il y a 301.000 personnes qui tapent « jeu sexe » dans leur moteur de recherche. De quoi questionner la place du charnel dans les jeux vidéo et les jeux online : simple « complément » visuel, élément majeur du gameplay ou encore aide à une jouissance qui, de purement ludique, se mue en purement sexuelle ?
Il ne s’agira pas ici ni d’augmenter le référencement naturel de ce site à grands renforts de tags en bold ni de donner à voir un panorama exhaustif de l’existant ludiquo-sexuel, mais plutôt de comprendre comment, sur un axe « plaisir ludique/plaisir sexuel », le curseur se déplace de gauche à droite.

Des fesses de Bayonetta au Hot coffee mod de GTA

Il suffit d’aller une fois dans sa vie au salon du jeu vidéo et/ou d’admirer des photo de cosplays sur Flickr pour comprendre que les codes du sexy et de l’érotisme y sont largement présents. De l’érotisme souvent coquin, parfois fripon : un besoin visiblement partagé par l’ensemble des utilisateurs (majoritairement jeunes), sans pour autant que le gameplay en soit modifié. Considérons ici cette érotisation comme un aspect graphique agréable et plaisant à l’œil, qui confère au plaisir ludique un indéniable « plus ».

Mais la température monte d’un cran, abandonnons cette sensualité gentille – que l’on retrouve au final également dans le dernier blockbuster US – pour pénétrer dans un monde où la sexualité, plus crue, plus perverse, prend davantage de place.  Ici , on pense à des scènes dans God of War, dans Dante’s Inferno, ou encore à ce mini-jeu qui a fait scandale dans GTA [en]. Sans oublier les allusions équivoques à peine dissimulées des jeux issus de l’industrie japonaise (mais que me rappellent donc ces grandes traînées de crème fouettée maculant le visage de la jeune fille ?)

Ce ne sont pas seulement des seins plantureux ou des fessiers délicieusement galbés qui apparaissent cette fois à l’écran, mais des actes – tripotage, fellation, pénétration…- sciemment voulus et activés par le joueur.

Nous sommes cependant toujours dans le domaine du plaisir ludique, et le sexe n’est ici qu’un élément mineur du gameplay, plus ou moins à même d’avoir des incidences sur la trame narrative du jeu et/ou de remplacer dans certains cas le film érotique du samedi soir.

Or certains veulent aller plus loin, à l’instar de ce forumeur déçu (l’image ci-dessous est également destinée à baisser le pourcentage d’images cochonnes publiées  dans cet article).

Du jeu érotique au jeu-prétexte

Poussons le curseur un peu plus loin sur notre axe plaisir ludique/plaisir sexuel,  juste au milieu. Qu’avons-nous là ? Des jeux érotiques, et assumés comme tels. Comme par exemple : de l’Adult Interactive Fiction [en], du MMORPG, du jeu de stratégie [en] et même un ARG [en] ! La liste complète serait longue, notamment du côté du Japon…

Il s’agit ici de parvenir à un équilibre où jouissance du jeu et potentielle jouissance de la chair sont idéalement combinées. Une gageure audacieuse : est-il possible de se concentrer, de prendre les bonnes décisions, d’améliorer son score, bref, de jouer sérieusement comme cela est proposé dans Playboy Mansion [en] alors que la tentation charnelle taraude en permanence le corps physique du joueur ?

Et lorsque le curseur bascule finalement tout à droite, c’est la nature même du jeu qui bascule : le jeu en soi, comme activité se suffisant à elle-même, devient ici instrument, moyen, prétexte. Le plaisir ludique s’efface au profit du plaisir sexuel.

Pour le casual gaming à deux ou plus, cela va donner de véritables « facilitateurs de coït », à l’instar de l’application mobile Action Vérité Hot. Les règles d’un véritable rapport sexuel, habituellement fixées par les protagonistes eux-mêmes, tacitement ou de manière explicite, sont ici édictées par le jeu. Ce dernier questionne les partenaires pour faire monter leur désir réciproque, leur proposant même, en cours de route, d’écourter la partie !

Le nerd devant sa console aura quant à lui droit à de jolis produits 100% NSFW (165.000 recherches mensuelles par mois sur « jeu hentaï », et au sujet du hentaï, je vous renvoie à ce bon article qui raconte à merveille des premiers émois adolescents).

Le jeu comme une aide à la masturbation ? Mais ce n’est pas nouveau : comme l’explique très bien Antonio Casilli dans les premières slides de son séminaire « Le ‘droit de jouissance’ dans la culture du numérique : objets et représentations du netporn »,  cela fait en réalité longtemps, près de cinquante ans, que le X cherche à s’immiscer dans des applications numériques pour adultes. Et cela vaut évidemment pour les jeux.

Dès lors, la plupart de ces jeux,  stimuli sexuels et accélérateurs de jouissance, se réduisent fréquemment à de simples animations Flash interactives – leur en demande-t-on plus ?
Parfois, le jeu contient quand même plusieurs étapes, comme dans les « Meet’n’Fuck », où il convient de répondre correctement pour accéder à la suite de l’histoire (où, en général, les couches de vêtements recouvrant les personnages sautent les unes après les autres). Le plaisir sexuel n’est donc atteint que si le contrat du jeu est respecté.

Mais bien souvent, il n’y a qu’un seul écran, avec une protagoniste et divers outils mis à disposition de l’utilisateur. C’est le retour au jeu de la poupée façon pervers : manipuler un corps sans défense selon son bon vouloir, le caresser gentiment ou lui faire subir les pires outrages…Il n’y a rien à gagner si ce n’est sa propre jouissance (mais certains otakus diront certainement que le jeu en vaut la chandelle !).
Par ailleurs, nul besoin d’utiliser son imagination pour vivre virtuellement un fantasme hors du commun ; comme pour le porno, il y en a pour tout les goûts (enfin, surtout japonais) sur le web en matière de petits jeux Flash. Et bientôt également sur Kinect [en] ?

Une seule et unique lettre sépare « jouer » et « jouir » dans la langue française, un hasard ? Amusons-nous à croire que non. Car si dans de nombreux cas, plaisir ludique et plaisir sexuel ne sont absolument pas liés, d’autres situations nous montrent que jeu et sexe font tout à fait bon ménage. Même s’il est parfois difficile d’imaginer comment quelque chose de charnel -  et donc de chaud, de vivant – peut être traduit à travers le virtuel froid des jeux numériques, et seulement à travers deux sens, la vue et l’ouïe.
Si l’on veut combiner tous les sens, il semble en effet qu’un retour au réel s’impose. Et n’en déplaise à Seth Priebatsch, le chantre du game layer on the top of the world [vidéo, en], il n’y a pas eu de gamification des rapports sexuels. Simplement, les composantes du jeu – communément définies par une activité librement choisie / une extraction hors du réel / un cadre codifié avec des règles / une issue incertaine – ressemblent furieusement à celles d’une partie de jambes en l’air. Ce qui propulse d’un coup les gamers au rang de bons amants potentiels, non ? À méditer.


Retrouvez tous les articles de notre dossier jeux vidéo:

- Lara, Zelda, Samus: pourquoi sont-elles aussi sexy ?
- Prendre le jeu au sérieux

ff

Billet initialement publié sur Fais-moi jouer ! ; image CC Flickr cloneofsnake

Passionnée par l’exploration des territoires digitaux, des Wonderland contemporains qu’elle étudie quotidiennement au sein de Curiouser, Maud Serpin s’intéresse de près à tout ce qui se passe lorsque ludique, fiction, et nouvelles technologies se mélangent et se répondent. Vous pouvez suivre son actualité ici !

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