Le financement dévoilé des mosquées

Le 5 avril 2011

L'Islam remet-il en cause la laïcité ? Non, répondait en 2006 le rapport Machelon, commandé par Nicolas Sarkozy. Un texte consensuel qui posait déjà les termes du dilemme sur le financement des lieux de culte.

Que dit la loi de 1905 ?

C’est l’article 2 de la loi de séparation des Églises et de l’État qui fixe le cadre de la relation contractuelle entre les cultes et les pouvoirs publics. Elle est résumée en une phrase où chaque mot compte :

La République ne reconnaît, ne salarie et ne subventionne aucun culte.

Pourtant, cela ne signifie pas que l’État ou les collectivités territoriales n’aident jamais les religions. Au contraire. L’histoire de la loi de 1905 est truffée d’exceptions. Pour s’en convaincre, il suffit de lire l’excellent rapport de la commission Machelon, rédigé en 2005-2006 à la demande du ministre de l’Intérieur… Nicolas Sarkozy.

La jurisprudence admet d’ailleurs ces dérogations comme conforme à l’esprit de la loi :

Le Conseil d’État, dans une récente décision du 16 mars 2005, [...] a de son côté indiqué que « le principe constitutionnel de laïcité qui… implique la neutralité de l’État et des collectivités territoriales de la République et le traitement égal des différents cultes, n’interdit pas, par lui-même, l’octroi dans l’intérêt général et dans les conditions définies par la loi de certaines subventions à des activités ou des équipements dépendant des cultes ».

Comment la contourner ?

Trois territoires de la République font l’objet d’un statut dérogatoire vis-à-vis de la loi de 1905 :

  • L’Alsace et la Moselle, qualifiées de terres concordataires (sous le régime du Concordat de 1801), où l’État et les collectivités locales peuvent salarier et subventionner quatre cultes identifiés (catholique, luthérien, protestant et juif)
  • La Guyane qui est toujours régit par une ordonnance royale de Charles X de 1828, qui permet aux membres du clergé catholique d’être « rétribués sur le budget départemental ».

A ces exceptions, il faut en ajouter bien d’autres qui concernent à la fois l’ensemble du territoire et tous les cultes présents en France (p.24 du rapport Machelon) :

  • Financement des aumôneries
  • Affection au culte de bâtiments publics
  • Entretien des monuments historiques
  • Exonération d’impôts

Sans oublier la loi de 1908 qui permet aux collectivités publiques d’assurer la « conservation et l’entretien des bâtiments cultuels » leur appartenant au terme de la loi de 1905. Conclusion des rapporteurs :

Ainsi, par des biais divers, églises, synagogues et mosquées ont été financées par les pouvoirs publics en fonction de ce qui paraissait conforme à l’intérêt public du lieu ou du moment. Fréquemment, ces constructions combinent des activités culturelles et cultuelles.

Les spécialistes relèvent aussi qu’une loi du 19 août 1920 accorde une subvention à la Société des Haboux et des lieux saints de l’Islam pour la création de l’Institut musulman de Paris. Enfin, le moyen le plus classique pour aider à la construction d’un lieu de culte consiste à octroyer un bail emphytéotique administratif (BEA), sorte de location de longue durée à des conditions préférentielles. Dans ce contexte, il faut relever que le discours contestant la légitimité de certains projets de construction de lieu de culte ne concerne, depuis quelques années, que les mosquées.

La situation sur le terrain

En avançant le chiffre de « 5 à 10 millions de musulmans en France», le ministre de l’Intérieur exagère l’estimation fournie dans le rapport Machelon, qui est la « plus juste et la plus récente » selon le Conseil français du culte musulman (CFCM). Dans ce contexte, Claude Guéant a beau jeu de préciser qu’on ne touchera pas à la loi de 1905.

Les experts interrogés pour le rapport en 2006 citent le chiffre de 4 millions de musulmans, « soit 6% de la population (mais 14% des 18-24 ans) ». Quelle est leur pratique religieuse ? Difficile à dire, mais elle oscille dans une fourchette qui va de 15 à 20% selon les sources. Quant aux lieux de culte (en attendant le recensement des mosquées qui aura lieu en juin pour le renouvellement du CFCM), ils étaient ainsi comptabilisés :

À côté des édifices des anciens cultes reconnus, on dénombrait en France, en 2005, 1685 mosquées et salles de prières d’une part, environ 1850 salles (ou temples) des églises évangéliques d’autre part.

Au passage, notons que la problématique des lieux de culte évangéliques n’est jamais évoquée par les responsables politiques, alors qu’elle est numériquement plus importante dans le paysage religieux. Dans un état des lieux assez complet dressé en 2009, Oumma.com pointait le retard criant de l’Islam sur les autres religions, rapporté au nombre de pratiquants recensés :

Ainsi, on obtient un espace total alloué au culte de 249 057 m2, pour 850 000 prieurs. Il en faudra donc environ 600 000m2 pour satisfaire la demande en superficie culte que les 200 projets qui sont en cours, selon le ministère de l’intérieur, ne peuvent en aucun cas combler.

La justification politique des élus locaux

Outre quelques cas particulièrement médiatisés, comme celui de la mosquée de Créteil, financée pour au moins un quart par la ville, les élus locaux usent de la même argumentation. Qu’ils soient de gauche (maire PS à Créteil) ou de droite, c’est toujours la valorisation du lien social et la nécessité qui justifient le soutien des collectivités.

A Woippy, le député-maire UMP François Grosdidier parle de « lieu d’ouverture » lorsqu’il est confronté aux critiques d’extrême droite sur des sites relayant cette parole. Sur Europe 1, mardi matin, il expliquait en détails sa position républicaine :

Tous les débats sont nécessaires, le problème, c’est la façon dont on engage le débat. Il faut commencer par traiter l’inégalité dans laquelle les musulmans se trouvent quant aux conditions matérielles de l’exercice du culte.

François Grosdidier n’a pas été invité à la Convention de son parti sur la laïcité.

Deux questions délicates : le patrimoine et les financements étrangers

Dans ce débat sur les mosquées, deux questions sont souvent esquivées, quel que soit le camp qui s’exprime. La première relève de la lourdeur des biens immobiliers à gérer. Plus un lieu de culte est important, plus il entraîne des frais d’exploitation lourds à supporter. Or, comme toutes les religions, l’Islam subit un phénomène de sécularisation : à chaque génération, les immigrés et leurs descendants pratiquent de moins en moins leurs croyances.

Construire d’immenses mosquées pourrait donc, à terme, placer l’Islam de France dans la même situation que l’Église catholique, qui n’a plus les moyens d’entretenir son très riche patrimoine. Un enjeu qui n’est pas forcément pris en compte dans les débats actuels. Idem pour la question du financement extérieur (Algérie, Arabie Saoudite et monarchies du Golfe) qui est normalement filtré par le CFCM, sous le contrôle du ministère de l’Intérieur. Ce dernier reste très discret sur la question.

Ce qui ne permet pas de comprendre pourquoi la France a, proportionnellement, moins de mosquées que l’Allemagne, les Pays-Bas ou le Royaume-Uni, alors qu’elle compte la communauté musulmane la plus importante…

Les solutions ? Le rapport Machelon les explicite (p.27) sous deux propositions :

  • étendre la capacité d’effectuer des “réparations” sur les lieux de culte à leur “construction” (il suffit de changer un mot dans la loi)
  • introduire dans le code général des collectivités la faculté, pour les communes, “d’accorder des aides à la construction”

Deux propositions restées lettre morte, depuis cinq ans.

Illustrations CC FlickR Ayman Haykal, Shahram Sharif, Beth Rankin

insérant un nouvel article dans son titre III (« Les édifices du

culte »), soit en étendant à la construction des édifices affectés

au culte public la dérogation pour les « réparations », prévue à

l’article 19 dernier alinéa (titre IV : « Des associations pour

l’exercice des cultes »).

– La seconde conduirait à insérer dans le code général des collectivités

territoriales la faculté, pour les communes et leurs

groupements, d’accorder des aides à la construction de lieux de

culte. La commission estime qu’il faudrait, au moins dans un

premier temps, réserver cette possibilité aux communes et à

leurs groupements, qui ont toujours été le cadre naturel des

relations quotidiennes entre les pouvoirs publics et les cultes.

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