La copie au service de l’innovation

Le 17 mai 2011

Pour copier en mieux, il faut innover. Il ne s'agit pas de reproduire à l'identique mais de s'inspirer pour aller plus loin. C’est toute la force d’Internet aujourd’hui : favoriser la copie pour dynamiser le processus d’évolution.

J’ai entendu beaucoup de bêtises sur l’innovation. J’en ai dit quelques unes aussi (mais je me trompe souvent). La première, c’est que pour être innovant, il faut être forcément différent. “Ce n’est pas innovant, je l’ai déjà vu ailleurs”. Oui, mais est-ce que ça a marché ? “Non.” Ah… Être disruptif ne suffit pas. Être créatif non plus. Copier les bonnes idées peut être un acte d’innovation. Les bonnes idées ne font pas l’innovation. Les idées bien menées oui.

Le plus bel exemple d’une innovation parfaitement orchestrée est celui d’Apple. Je vous conseille de lire (que dis-je, de dévorer) l’article de Malcom Gladwell dans le dernier numéro du New Yorker sur l’innovation chez Apple.

Steve Jobs n’a pas inventé la souris

Ni même l’interface en fenêtres (“windows”, copié quelques années plus tard par Microsoft). Steve Jobs a découvert la souris et l’interface graphique dans le laboratoire de Xerox, en 1979.

En échange de parts dans sa boîte, le fondateur d’Apple, alors âgé de 24 ans, a obtenu de jeter un œil aux créations de Xerox dans son laboratoire de recherche, le Xerox PARC. C’est là qu’il a découvert l’ordinateur personnel inventé par Xerox. La démonstration était menée par Larry Tesler. L’ingénieur a saisi une “souris” avec laquelle il dirigeait un curseur sur l’écran de l’ordinateur. Mieux : au lieu de taper une commande pour piloter l’ordinateur, Tesler cliquait sur des boutons pour ouvrir des “fenêtres”… Il pouvait même envoyer des mails via le réseau interne de Xerox. Nous étions en 1979.

Très excité, Jobs marchait dans tous les sens dans la pièce, raconte Tesler. “Pourquoi ne faites vous rien avec ça ? C’est révolutionnaire !” Xerox a finalement sorti un produit en 1981, le “Star”. Mais il était trop lent et n’a jamais trouvé son public.
De retour chez Apple, Jobs a demandé à son équipe de changer de stratégie. Il voulait un ordinateur avec des fenêtres, et une souris pour le piloter ! Quelques mois plus tard naissait le premier “personal computer” à interface graphique, avec une souris : le célèbre Macintosh. On connait la suite.

Voici le “Star” de Xerox et le Macintosh :

La souris Xerox, à trois boutons (coût de fabrication : 300$ l’unité) et la souris du Mac à un bouton (coût de fabrication : 15$) :

Apple a-t-il volé l’idée de Xérox ?

Non, répond Malcom Gladwell, qui précise d’ailleurs que l’idée de la souris est sortie du cerveau d’un certain Douglas Engelbart, chercheur du Stanford Resarch Institute, à la fin des années 60. Elle était carrée et en bois, mais c’était bien une souris :

Si vous placez les trois objets à la suite, vous ne verrez pas la reproduction d’une même idée, mais plutôt l’évolution d’un concept, poursuit Gladwell.

S’inspirer et … faire mieux

Que faut-il en conclure ? Qu’avoir une bonne idée ne suffit pas. Que les idées sont dans l’air et qu’elles ne doivent pas être protégées si l’on veut continuer de nourrir l’innovation. Que reprendre les idées des autres est souvent une bonne méthode, parce que l’innovation n’a rien à voir avec l’idée originale. L’innovation est un process, souvent itératif, qui consiste à mettre en œuvre, faire des choix, tester, lancer sur le marché, se tromper.

Copier, c’est innover ? Oui et non. En fait, Jobs n’a pas cherché à reproduire ce qu’il avait vu. Il s’en est inspiré, mais surtout : il est allé beaucoup plus loin, parce qu’il voulait lancer le produit sur le marché. Il n’y a pas de limites aux sources d’inspiration. Même s’inspirer des idées des autres. C’est toute la force d’Internet aujourd’hui : favoriser la copie pour dynamiser le processus d’évolution en supprimant la phase R&D (recherche et développement) : la R&D c’est le marché.

Cette philosophie gagnante met en lumière toute l’absurdité du bac à la française : on interdit aux élèves de copier sur leurs voisins, alors qu’on devrait les encourager ! La première fois que j’ai entendu cette idée c’était en 1997, aux rencontres Internet d’Autrans. L’auteur de cette phrase était un cadre d’Apple France…

Être créatif est essentiel. Mais que faire de la créativité ? Dans créativité, il y a d’abord “création”. Faire. Comment intégrer les créatifs dans les process industriels d’une grande entreprise ? L’innovation, ce n’est pas l’originalité à tout prix. C’est d’abord un savoir-faire. Il y avait beaucoup de créatifs chez Xérox, qui avait eu la bonne idée d’offrir à ses ingénieurs un terrain de jeu avec le Xérox PARC. Mais il n’en n’est pas sorti beaucoup de projets gagnants parce que l’entreprise avait du mal à gérer ses créatifs, en d’autres terme : à piloter l’innovation.

Ah si, il y a eu l’imprimante laser. Mais lisez plutôt son histoire, relatée par Gladwell : l’inventeur de l’imprimante laser s’appelle Gary Starkweather. Quand il a commencé à travailler sur le concept, la direction de Xérox lui a répondu que ce n’était pas le business de Xérox. On lui a donc interdit de poursuivre ses recherches. Mais Starkweather s’est entêté, il a caché son travail derrière un rideau noir dans son labo ! Finalement, l’imprimante laser a été l’un des plus beaux succès de Xérox. Starkweather en était assez fier. Mais il avait beaucoup souffert également.

Il a donc quitté Xérox pour rejoindre une jeune entreprise bouillonnante : pas de laboratoire, ici. Le laboratoire, c’était l’entreprise. Le nom de la boîte ? Apple.

Initialement publié sur La Social News Room sous le titre Le cas Apple : faut-il être original pour être innovant ?

Illustration Flickr CC Raneko

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