« Les 33 », rentrés dans la légende (urbaine)

Le 20 mai 2011

Ont-ils mangé leur copain? Trouvé d'énormes pépites d'or? Fumé du shit? Et forniqué par 700 mètres de fond? Au bal des rumeurs, les 33 mineurs de San José sont des héros. Dernière étape de notre périple chilien.

En septembre et octobre 2010, l’histoire des 33 mineurs chiliens enfermés (mais vivants !) dans une mine, à 700 mètres sous terre, occupait presque toutes les Unes de la presse internationale. Après leur sortie de ce sous-sol infernal, le 12 octobre 2010, « les 33 » ont voyagé, et gagné un peu d’argent.

Mais six mois après, le barnum est parti. Et avec les journalistes, les rêves se sont enfuis. Certains mineurs décrivent leur vie comme un calvaire. Maladies, antidépresseurs, ennui, pauvreté, sentiment d’avoir été manipulé par le président de la République, pour enrichir sa com’.

Leitmotiv ? “J’ai couché avec un des 33″

Florencio Avalos (le premier des 33 à être sorti de la mine), Luis Urzua (le chef des 33) et Daniel Herrera discutent devant l’Intendencia, un institut gouvernemental, situé au coeur de la Plaza Prat, à Copiapo. Ils viennent de s’assurer qu’ils sont bien inscrits pour le prochain voyage, à Los Angeles. Encore une virée qui ne leur rapportera pas un sous. Devant l’Intendencia, des personnes font des allers et venues, sans se retourner.

Daniel Herrera, 29 ans, un grand un peu poupin, au visage d’ange, est surnommé « el negro » à cause de sa couleur de peau. Il sourit :

Notre histoire a suscité des jalousies, ici les gens pensent qu’on est riche, et qu’on a toutes les femmes à nos pieds !

En novembre, Daniel s’était affiché aux côtés d’une charmante journaliste italienne. La photo avait fait le tour de Facebook. Mais il précise :

Les femmes qui s’intéressent vraiment à moi sont généralement des blondes d’un soir, qui pourront dire fièrement à leurs copines : j’ai couché avec un des 33′.

Luis Urzua, la cinquantaine passée, le dos voûté, a l’air beaucoup plus sévère : « Les rumeurs sont monnaie courante depuis qu’on est sorti de la mine. Dieu peut en témoigner ».

Petit match entre amis au stade de football de Copiapo

Au bal des rumeurs : baiser, se droguer, être riche…

Des rumeurs, il y en a quantité autour de leur histoire. Certaines sont apparues pendant le drame, d’autres après leur sortie de terre :

  • Les 33 sont sortis les poches remplies d’or
  • les 33 ont fait l’amour entre eux
  • les 33 ont eu des poupées gonflables pour se soulager
  • les 33 faisaient tourner de la drogue
  • les 33 cumulent des dizaines de maîtresses
  • les 33 ont pensé au cannibalisme
  • les 33 sont riches
  • les 33 ont la belle vie…

Poubelle la vie.

Les poches remplies d’or ? Mario Sepulveda, le plus populaire des mineurs, désormais peu estimé de ses anciens amis « parce qu’il ne respecte pas le pacte : il ne partage pas l’argent qu’il gagne grâce à ses interviews », est sorti de la mine avec des pierres qu’il a offertes au Président chilien Sebastian Pinera. Mais personne ne s’est rempli les poches.

Il n’y avait tout simplement pas d’or dans cette partie de la mine de San José. A cause de l’étroitesse de la capsule par laquelle ils ont été extirpés (70 cm de diamètre), les mineurs ont surtout dû abandonner leurs menus effets personnels dans leur tombeau provisoire.

Et l’homosexualité alors ? Un des 33 mineurs témoigne :

En sortant, on a fait croire à des journalistes de la chaîne de télévision CNN, qu’on avait eu des rapports homosexuels ! Mais c’était faux. On s’était mis d’accord pour dire ça, c’était une stratégie pour faire mousser notre histoire. On a vite compris comment fonctionnent les médias !

Pas de rapports homosexuels donc, mais pas plus de démenti pour les millions de spectateurs du network américain. Une boulette médiatique de plus. Pas plus de poupées gonflables, comme le répètent pourtant les piplettes des terrasses de Copiapo.

A l’étage d’un café musical de la Plaza Prat, Daniel Herrera avale un mojito, jette un oeil sur l’écran géant sur lequel est projeté un clip de Vanessa Paradis, et confie :

La vie sexuelle au fonds de San José était pauvre, presque inexistante. D’abord, au début, on n’avait pas de force, et on ne pensait qu’à sortir de là. Au bout d’un moment, vers la fin, les secouristes ont fini par nous envoyer des revues porno et des posters de pin-ups… Ce n’était vraiment pas le paradis !

On raconte que, de façon générale, partout dans le monde, à cause de l’éloignement des femmes, les mineurs ont développé des formes de relations homosexuelles brèves et sans lendemain. Daniel éclate de rire : « Noooon ! »

Quant aux maîtresses, il y a bien Yonni Barrios et ses deux amours. Un autre mineur avait confié à un psychologue qu’il appréhendait sa sortie, parce que ses sept amantes l’attendaient. Mais globalement, les 33 n’ont pas plus d’amours que le commun des hommes.

Jimmy Sanchez a-t-il failli se faire manger ?

C’est d’ailleurs à la surface de la mine qu’il y eut les plus grandes amours. Ah l’attente, l’angoisse, l’ennui, et les rencontres… entre familles, journalistes, mineurs-sauveteurs, et policiers ! Au total, plus de 2000 préservatifs auraient été retrouvés sur le « camp de l’Espoir » qui rassemblait tout ce petit monde !

La drogue ? Les 33 se partageaient un petit pétard de temps en temps, mais les drogues dures ne passaient pas. Même s’ils étaient peu respectés, parce qu’ils censuraient beaucoup de messages envoyés de la surface au fond de la mine, les psychologues veillaient à ce que les produits illicites ne circulent pas. Alors, pour compenser le manque, Edison Pena a fait du sport, dès qu’il a pu. Mineurs-sauveteurs et familles faisaient par contre descendre des médicaments et… des bouteilles de Pisco (un alcool fort de raisin chilien).

Le cannibalisme ? D’après un mineur de l’équipe de secours, « Jimmy Sanchez, qui n’avait que 18 ans au moment de l’accident », aurait « failli se faire tuer ».

Cinq jours après l’accident, alors qu’il allait au coin toilettes – le seul endroit où les 33 étaient seuls – un groupe de quatre ou cinq mineurs s’est jeté sur lui. Ils l’ont frappé, très fort. Ils voulaient le tuer pour le manger ! Heureusement, d’autres mineurs, qui faisaient partie de son clan, sont arrivés à temps.

Le jeune Jimmy Sanchez au stade de foot

Un matin d’avril, nous retrouvons Jimmy Sanchez au stade de football de Copiapo. A quoi ressemble la proie présumée des apprentis cannibales ? Un jeune homme de 19 ans, un mètre soixante-quinze à vue d’oeil, mince. C’est un beau chilien !

Le soleil tape, un vent fort balaie le sol terreux. Des hommes jouent avec la rapidité des professionnels. Femmes et enfants regroupés par grappes sur le bas côté, les regardent.

La voiture des amis de Jimmy diffuse du reggaeton, les portes et le coffre ouverts. Malgré ses lunettes noires et la proximité de ses potes branchés, Jimmy semble plus timide que les autres mineurs. Il mange un sandwich italien, du pain brioché bourré de guacamole et de tomates. « Je ne peux pas encore jouer, je suis physiquement trop faible ».

Sur cette histoire de cannibalisme, la version de Jimmy Sanchez est modérée :

Dans les moments les plus durs, j’ai eu très peur, j’ai pensé que si on devait en venir à tuer quelqu’un, c’est par moi qu’ils commenceraient. J’étais le plus jeune.

Il n’en dit pas plus, et préfère passer à un autre sujet : la femme qu’il a rencontré la veille, et dont il est tombé amoureux.

Lors du dîner chez lui, Mario Gomez avait confié : « Le cannibalisme ? On y a seulement pensé. On voulait rester unis jusqu’au bout ».

Un film bientôt produit par Hollywood ?

La « vérité » sur l’ensemble de ces histoires secrètes devrait sortir bientôt, dans un « livre officiel » sur les 33 mineurs chiliens. Pendant sept mois, les négociations avec les éditeurs successifs ont tourné court. Mais cette semaine, enfin, les mineurs ont trouvé l’éclaireur verni qui écrira leur histoire authentique, le journaliste nord-américain Hector Tobar, lauréat du prix Pulitzer en 1992.

Un film produit par Brad Pitt compte, lui aussi, raconter l’histoire complète du drame, avec quelques détails croustillants. Les 33 mineurs n’ont pas oublié que le film pourrait leur rapporter plusieurs millions de dollars. Un bel espoir, qui réaliserait au passage le voeux du milliardaire Farkas.

Mais un autre film espagnol, « The 33 of San Jose », réalisé par l’Argentin Antonio Recio, l’a devancé. Le film, que Luis Urzua qualifie de « mauvais », a déjà été diffusé sur la chaîne de télévision chilienne 13 TV network. Sa date de sortie au cinéma n’est pas encore connue, mais des extraits sont visibles sur internet. Las, la boîte de production n’a pas rémunéré les 33 mineurs chiliens. Alors tant que l’argent de Brad Pitt n’est pas versé, Daniel Herrera préfère rester prudent :

C’est Dieu qui nous a sorti de la mine, Dieu seul sait si le film sortira un jour.

Comme d’autres histoires incroyables, celle des 33 mineurs chiliens, gigantesque vague médiatique en plein désert, a vite été balayée. Après tout, les mineurs chiliens sont des gens pauvres, lointains et sans intérêt particulier, auxquels les journalistes n’ont pas de raisons de s’intéresser ! (Pas plus qu’ils n’ont de raisons de s’intéresser aux chauffeurs de taxi, aux éboueurs, aux caissières de supermarché, aux enseignants, aux petits cadres, aux commerçants, ou aux femmes de ménage).

Mais au moins, l’histoire des 33 mineurs chiliens aura-t-elle permis au monde de découvrir sur le fil ce monde étranger, masculin, douloureux, passionné, dangereux, où la course à la rentabilité fait tomber des vies.

Grâce à ses ressources minières, le Chili est l’un des pays d’Amérique Latine les plus économiquement puissants, et dont le système économique néo-libéral est le plus abouti. La plupart des mines (environ 70 %) appartiennent à des multinationales, les services publics sont négligés.

De son côté, le Président de la République chilienne, Sebastian Pinera, n’a pas tenu les promesses qu’il avait faites aux mineurs de San José. Mais lui se porte bien, merci ! Propriétaire du célèbre club de football Colo-Colo, de la chaîne de télévision Chilevision, et de plusieurs mines de cuivres au Chili, il figure parmi les 500 premières fortunes du monde. « La revue américaine Forbes le considère comme le 51e homme le plus puissant de la planète ». Et en un an, son compte en banque « s’est étoffé de quelque 200 millions de dollars, pour atteindre 2,4 milliards »1.

On est décidément loin des 500 euros par mois de Daniel Herrera.

Photo FlickR CC Secretaria de communicaciones / Anaëlle Veraux

  1. « Chili, les vieilles lunes de la nouvelles droite », Le Monde Diplomatique, mai 2011 []

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