Changement climatique: inégalité face aux risques

Le 27 mai 2011

En 2010, près des 2/3 des dommages causés par les catastrophes naturelles, n’étaient pas assurés. Soit la catastrophe se déroulait dans un pays « en développement » ; soit une partie la population touchée n’avait pas les moyens de s’assurer.

Non seulement, les « pauvres » doivent mettre la main à la poche pour respecter des politiques environnementales mal conçues, mais ils doivent également se préparer à être les plus exposés aux dommages causés par le changement climatique. En 2010, près des 2/3 des dommages causés par les catastrophes naturelles (soit $85 milliards), n’étaient pas assurés. Soit parce que la catastrophe se déroulait dans un pays dit « en développement » où le système d’assurance est faible, voire, inexistant; soit parce qu’une partie de la population des pays dits « riches » n’avait pas les moyens de s’assurer. La correction de ces inégalités est possible. C’est une question de choix de société (et non pas de marché…).

$128 milliards de dommages – $43 milliards de biens assurés = $85 milliards… Qui paie la différence? Toutes les pertes économiques ne sont pas couvertes par les assurances. Dans son rapport Sigma 2010, la compagnie d’assurance Swiss Re estimait que les pertes des biens assurés, sur l’ensemble des catastrophes, étaient de $43 milliards alors que les pertes économiques globales se chiffraient à plus de $128 milliards, soit 2/3 de plus! Alors, qui paie la différence? Les individus, les entreprises, les collectivités, les États… mais quand cela leur est possible…

Les populations des pays pauvres, sans système d’assurance

Prenons les inondations survenues au Pakistan en été 2010. Elles ont à peine fait la une des médias et mobilisées les donateurs pour secourir les populations.

Pourtant la Banque Mondiale et la Banque Asiatique de Développement évalue à 9,7 milliards de dollars les dégâts et à 20 millions le nombre des victimes (dont près de 2000 morts). Ban Ki Moon, le Secrétaire Général de l’ONU, dans son discours du 19 août 2010 estime même qu’il s’agit d’un « tsunami au ralenti, dont le pouvoir de destruction se consolidera et s’étendra au fil du temps. Qu’on ne s’y trompe pas : il s’agit d’une catastrophe mondiale et d’un défi mondial. » Autant dire que dans cette région pauvre du Pakistan, peu de personnes avaient les moyens d’assurer leur biens. Et encore eût-il fallu qu’il y ait un marché de l’assurance pour ce type de risque… Et l’État n’est pas suffisamment organisé et/ou riche pour indemniser les victimes. Alors forcément, ce sont encore les pauvres qui sont doublement touchés: ils sont les plus exposés et ils sont les moins couverts pour faire face aux catastrophes. En attendant, ces populations touchées ne peuvent qu’attendre, impuissante, une aide humanitaire contingente, qui pallie, bon an mal an, l’absence de système d’indemnisation.

Habitations dévastées au Pakistan lors des inondations de 2010

Les précaires des pays riches sans assurance climatique

Retour en août 2005, Nouvelle-Orléans, après le passage du cyclone Katrina. Le public découvre l’autre visage des États-Unis: celui d’une population pauvre (et en majorité noire), livrée à elle-même, maisons détruites et sans moyen pour partir vivre ailleurs ou reconstruire leur maison. Cinq ans après le passage de l’ouragan, certains rescapés continuent de vivre dans des caravanes fournies par l ’Agence fédérale de gestion des urgences (FEMA)… s’ils n’ont pas été expulsés avant comme l’indique un article du Los Angeles Times repris par la Courrier International.

Si ces populations ont été frappées de plein fouet c’est parce qu’elles n’avaient pas les moyens de souscrire une assurance contre les catastrophes naturelles: selon le bureau du gouverneur du Mississippi, le républicain Haley Barbour, 53 % des occupants des caravanes déployées par la FEMA dans son État gagnent moins de 20 000 dollars [14 700 euros] par an…

Un fonds d’indemnisation des catastrophe naturelles: le principe de solidarité nationale en France. La France a mis en place un régime original d’assurance obligatoire aux catastrophes naturelles institué par la loi du 13 juillet 1982. Ce régime est dit « à péril non dénommé » car il n’existe pas de liste exhaustive des périls (ou aléas) qu’il couvre. Pour bénéficier de ce fonds deux conditions doivent être remplies:

  • l’état de catastrophe naturelle doit être reconnu par un arrêté interministériel, qui en délimite le champ géographique et temporelle ainsi que la nature des dommages couverts par la garantie (article L.125-1 du Code des Assurances)
  • seuls les biens sinistrés des particuliers et entreprises couverts par un contrat d’assurance “dommages aux biens” peuvent bénéficier de la garantie catastrophe naturelle (si les sinistre sont directement liés à la catastrophe reconnu par le décret).

Le régime Catastrophes Naturelles (Cat-Nat) repose sur le principe de solidarité nationale, lui même défini par deux composantes:

  1. son caractère obligatoire: tout contrat d’assurance de dommages aux biens comporte obligatoirement la garantie contre les catastrophes naturelles ;
  2. son caractère égalitaire : un taux unique s’applique à l’ensemble des assurés indépendamment de leur exposition géographique aux risques. Ainsi, le fonds Cat-Nat est alimenté par une prime additionnelle (surprime) calculée à partir d’un taux uniforme sur l’assurance de base ( 12 % pour un contrat multirisques habitation/entreprise et 6 % pour un contrat d’assurance d’un véhicule terrestre à moteur) ;

Ainsi, d‘après un rapport du Commissariat Général au Développement Durable de mai 2010, 8,3 Md€ ont été indemnisés de 1995 à 2006, en France métropolitaine, au titre des évènements naturels reconnus comme «catastrophes naturelles».

Mais ce système n’est pas la panacée car il crée un effet pervers appelé « aléa moral », c’est à dire qu’une personne assurée contre un risque ne prend pas de précautions pour empêcher ce risque ou s’en protéger car elle sait qu’elle sera de toute façon remboursée. Le système français tente donc d’introduire une politique de prévention, notamment au niveau des communes, pour que celles-ci prennent en compte le risque de catastrophes naturelles dans leur plan d’aménagement. Et nous retombons là dans le violent débat qui a suivi le passage de la tempête Xynthia, opposant l’État et les collectivités territoriales, les habitants et les assureurs…

Assurance, solidarité et changement climatique, un trio qui doit apprendre à vivre ensemble pour éviter tensions et injustices. Avec l’ampleur toujours plus grande des dégâts dus aux catastrophes naturelles, l’augmentation de leur intensité lié au changement climatique, et les inégalités de revenus entre pays et populations, nous sommes confrontés à une thématique cruciale du « développement durable », trop souvent minorée. Il s’agit pour le secteur de l’assurance de trouver un modèle économique viable qui ne mette pas sur le carreau les personnes les plus exposées aux catastrophes et les plus pauvres. Une intervention de l’État me paraît donc indispensable pour à la fois favoriser un marché de l’assurance tout en veillant à ce que tous les habitants soient inclus dans ce système, par des mécanismes de solidarité. Cela paraît une conclusion évidente. Mais le système d’indemnisation français Cat-Nat reste une exception dans le paysage mondial…


Article initialement publié sur Globule Vert

Photos FlickR CC : PaternitéPas d'utilisation commercialePas de modification par IRIN Photos et PaternitéPas d'utilisation commercialePas de modification par UNICEF Canada

Laisser un commentaire

Derniers articles publiés