La rafle du 17 octobre

Lors de la nuit d'octobre 1961, la préfecture de police a planifié l'arrestation extrajudiciaire de près 12 000 personnes d’origine algérienne. Entassées plusieurs jours dans des stades dans des conditions inhumaines, comme le montrent les rapports de l'époque.

Le 17 octobre 1961, en plus du massacre perpétré dans les rues de Paris, la Préfecture de police a planifié l’incarcération d’au moins 11 538 personnes d’origine algérienne – et 12 520 au plus, en recoupant différentes sources documentaires de l’administration. Des personnes entassées durant plusieurs jours au Stade Coubertin, au Palais des sports de la porte de Versailles, dans le hall du Palais des expositions, et dans deux centres policiers du 3e arrondissement et du quartier de l’Opéra.

Dans ces lieux, selon des témoignages concordants, plusieurs d’entre elles ont été victimes d’exécutions sommaires – on estime qu’au moins 200 personnes d’origine algérienne ont péri dans la nuit du 17 octobre. Des notes confidentielles de la Préfecture de police de Paris, alors dirigée par Maurice Papon, et datées du 18 octobre 1961 à 6h30 du matin, comptabilise cette horreur. Les personnes arrêtées sont répertoriées par la police sous l’acronyme “FMA”, pour Français musulmans d’Algérie.

Ainsi, dès la nuit du 17 octobre, 10 009 personnes ont été placées de force dans les stades et les enceintes sportives de la capitale, dont la réquisition avait dû être prévue au préalable. 831 étaient retenues dans des commissariats d’arrondissement, et 698 dans des commissariats de la proche banlieue. Au-delà du 24 octobre, il restait encore plus de 2 000 personnes enfermées, qui avaient été regroupées dans un centre situé à Vincennes.

17 octobre 1961/ Photo copyright Elie Kagan/BDIC

Au sein de l’appareil d’État, aucun responsable n’ignorait l’illégalité et la cruauté de ces opérations. La Commission de vérification des mesures de sécurité publique dépêcha l’un de ses conseillers au Centre de Vincennes, le 26 octobre. Il rend un rapport accablant, dont on sait qu’il est remonté jusqu’au Premier ministre. Dans ce document de quatre pages (voir ci-dessous), l’auteur écrit :

Je ne crois pas devoir cacher que l’impression que j’ai ressentie spécialement dans les locaux de triage m’a été fort pénible. Des centaines d’êtres humains sont parqués derrière des barrières couchés ou assis sur la paille, sales (…) la nourriture paraît nettement insuffisante ; les services d’hygiène [sont] réduits au minimum. (…) Mon attention a été attirée par plusieurs Algériens portant des pansements à la tête. Interrogés, ils m’ont déclaré avoir été frappés à coups de bâton par les gardiens de la paix (…).

Occupation nazie

La violence et le caractère barbare de ces emprisonnements extrajudiciaires ont frappé quelques intellectuels de l’époque, alertés par la tragédie. Ils les ont immédiatement comparés aux actes commis durant la seconde guerre mondiale, par cette même police française, contre les Parisiens de confession juive.

Un télégramme secret du 19 octobre 1961 (ci-dessous), deux jours après la tragédie, transmis par les services de renseignement de la préfecture, s’inquiète ainsi d’un manifeste de l’écrivain Claude Lanzmann – alors âgé de 36 ans. Et de citer le texte que Lanzmann fait circuler alors auprès de ses amis :

Un déchaînement de violences policières a répondu à leur démonstration pacifique et de nouveaux Algériens sont morts parce qu’ils voulaient vivre en hommes libres. En restant passifs, les Français se feraient les complices des fureurs racistes dont Paris a été le théâtre et qui nous ramènent aux jours les plus noirs de l’occupation nazie. Entre les Algériens entassés au Palais des Sports en attendant d’être refoulés et les juifs parqués à Drancy avant la déportation, nous nous refusons de faire une différence.



Photo de Une et des articles par Elie Kagan. Fonds Elie Kagan géré par la Bibliothèque de Documentation internationale contemporaine, copyright Elie Kagan/BDIC

Illustrations par Loguy pour Owni /-)
Infographie par Andréa Fradin et Loguy
Retrouvez les articles du dossier :
1961 entre violence et silence
Une honte française


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La nuit oubli̩e Р17 octobre 1961

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