La magie noire de Disneyland Paris

Le 22 novembre 2011

Disneyland Paris, un petit cauchemar au quotidien pour des centaines de salariés. Harcèlement, copinage, stress à haute dose... Selon des documents confidentiels obtenus par OWNI, les employés voient la vie en noir.

Le 26 septembre dernier, Disneyland Paris se félicitait d’avoir signé avec les syndicats un accord pour mieux gérer les risques psychologiques touchant les 14 700 employés du parc d’attraction. Un message rassurant, adressé aux rédactions, pour faire oublier les trois suicides de salariés survenus au printemps 2010. Depuis, de saines relations de travail auraient été rétablies. Pas si sûr. L’enquête que nous avons menée sur place met en évidence des relations de travail souvent exécrables, au moins jusqu’en 2011, et de curieuses accointances entre syndicats et direction.

Selon un rapport interne confidentiel, daté de mai 2011 et dont nous avons obtenu une copie (voir plus bas), les relations entre salariés et direction sont marquées par une forme d’agressivité systématique. Et les situations décrites évoquent, régulièrement, des pratiques s’apparentant à du harcèlement moral.

Ce document de 32 pages synthétise deux audits réalisés par le cabinet MCS et par le cabinet Hay Group, et effectués quelques mois après le drame de 2010, à la demande de la direction du parc de Marne-la-Vallée et de la direction du groupe (la Walt Disney Company). Plus de 50% des salariés ont été interrogés dans ce cadre de ces études. Objet : évaluer les «facteurs socio-organisationnels du stress au travail». Cette synthèse n’a été diffusée dans son intégralité qu’aux principaux responsables du parc et aux membres de son comité d’entreprise.

Salariés surchargés et non soutenus

En premier lieu, le document mentionne des sentiments positifs, exprimés par les salariés. Comme la «fierté d’appartenir à l’entreprise» et la «bonne ambiance». Mais plusieurs critiques multiplient les ombres au tableau.

L’un des enseignements des deux études porte sur le fait que les salariés ont le sentiment fort d’une surcharge de travail, et ce à l’unanimité (…) Par ailleurs, parallèlement à la surcharge, il règne un sentiment d’injustice par rapport à la manière dont le travail est réparti (…) L’une des conséquences directes de cette surcharge est un ressenti important d’un déséquilibre entre vie privée / vie professionnelle (…) Moins d’un collaborateur sur deux considèrent que son manager direct l’aide à atteindre un équilibre raisonnable entre vie privée / vie professionnelle.

Pire encore, le niveau de concentration requise pour l’exécution des tâches est vécu comme une souffrance à l’unanimité, selon les auteurs du document, et cela tous statuts confondus. C’est également tous statuts confondus et à l’unanimité que les salariés ont l’impression que la direction générale n’aurait pas conscience de la réalité du terrain.

Enfin, les employés Disney dénoncent de façon récurrente une forme de copinage qui permet à certains de progresser dans l’entreprise. À en croire le document, le fait d’entretenir de «bonnes relations avec les managers» assurerait des perspectives d’évolution de carrière ainsi que d’obtention de bonus.

Un océan

Face à ces dysfonctionnements, un accord sur les risques psychosociaux a été ratifié le 1er septembre par une majorité de syndicats, mais après douze réunions réparties sur 18 mois. Celui-là même à l’origine du communiqué rassurant émis par Disneyland Paris le 26 septembre. Ce texte d’une vingtaine de pages redéfinit les rôles de chaque personne pour prévenir les risques de suicide, accentue la formation, la prévention et définit des sanctions en cas de harcèlement. Des mesures très insuffisantes pour Patrick Maldidier, responsable de l’Union nationale des syndicats autonomes (UNSA), qui a refusé de signer cet accord :

Il y a un océan entre l’accord que nous avons proposé et celui qui a été signé. La situation sociale est encore pire qu’avant (…) Rien n’a été fait pour permettre aux salariés d’arriver dans de bonnes conditions le matin en allant au travail.

Pas de crèche pour les bébés Disney

Selon lui, les problèmes du stress au travail ne sont pas «réglés à la racine». Tandis que des problèmes logistiques importants pèsent au quotidien. Par exemple en matière de logement :

La plupart des logements du parc sont réservés aux saisonniers. Alors les permanents doivent acheter ou louer dans la région mais les coûts sont surélevés. Les niveaux de salaires sont très bas puisque la moyenne des salaires est de 200 euros de plus que le SMIC. La situation actuelle est catastrophique car, en se sédentarisant, on a du mal à payer un loyer avec un salaire bas.

Dans la même veine, on découvre que le groupe Disney aurait refusé d’installer une crèche d’entreprise, pour ses centaines de salariés qui ont des enfants en bas âge :

Ce n’est plus la même population qui a commencé, ils se sont mariés et ont eu des enfants. Alors naturellement, on a proposé la mise en place d’une crèche pour les salariés de l’entreprise mais il y a eu opposition de la part de la direction. Ils justifient leur refus en disant que «le coût est élevé» et qu’ils «ne pourront satisfaire tout le monde». Alors, autant ne rien faire pour personne. C’est hallucinant.

Contacté dans le cadre de cette enquête, Laurent Manologlou, responsable de la communication de Disneyland Paris, n’a pas souhaité être cité. Pour toute réponse à nos questions, il nous a transmis un texte de quelques lignes rédigé par la directrice des relations sociales de Disneyland Paris, Karine Raynaud, portant sur la négociation de l’accord de septembre :

Il faut bien avoir à l’esprit qu’il ne s’agit pas d’une négociation isolée, mais qu’elle s’inscrit dans un contexte de négociations intenses. En juin 2011, la direction comme les organisations syndicales avaient sans doute besoin de marquer un temps de pause pour prendre le recul nécessaire afin de passer outre cette situation de blocage apparente. Nous étions confrontés à des points de blocage forts, de la part de certains négociateurs, sur des sujets comme l’amélioration des dispositifs d’aide au logement ou encore la multiplication des crèches d’entreprise. Or ce sont des sujets sur lesquels nous menons d’autres négociations en parallèle, et surtout qui impliquent d’autres acteurs extérieurs à l’entreprise, comme les organismes collecteurs du 1% logement ou les collectivités territoriales. Autre point de désaccord sur lequel nous avons pu travailler, certains négociateurs considéraient que nous ne distinguions pas suffisamment ce qui relevait de démarches de sensibilisation et de démarches de formation. Nous avons remis à plat la question de la formation, que nous réservions initialement aux directeurs généraux et managers. J’ai compris, lors de mes entretiens bilatéraux, au cours de l’été, que nous avions la possibilité d’aboutir en avançant sur ce point. Avec quatre organisations syndicales signataires, représentant 65% des suffrages au cours des dernières élections, nous avons conclu un accord équilibré.


Photos et illustrations par Môsieur J [cc-by] et Ti.mo [cc-by-nc-sa] via Flickr

Crédit une Loguy pour OWNI

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