France: les ravages du déshonneur

Agressif avec Reding, méprisant vis-à-vis des Européens, dédaigneux des principes communautaires... Selon les Euros du Village, le gouvernement Sarkozy bafoue bien plus que la Commission par son comportement : ce sont les principes de coopérations fondateurs de l'UE qu'il insulte.

Le droit à la libre circulation de tous les citoyens européens sur l’ensemble du territoire de l’Union ainsi que l’interdiction de la discrimination sur base de la nationalité ou de l’origine ethnique sont des principes juridiques fondamentaux de l’Union européenne (voir les articles 10, 18, 26 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne, et la directive 2000/43 du Conseil).

Au vu de ces principes, certains aspects de la politique de reconduite à la frontière menée par le gouvernement français à l’encontre des Roms de nationalité bulgare et roumaine, et en particulier une circulaire appelant les préfets à mettre en place « une démarche systématique de démantèlement des camps illicites en priorité ceux de Roms », sont probablement illégaux.


En ciblant spécifiquement les Roms, cette circulaire contient un caractère discriminatoire puisqu’elle invite à expulser des personnes non pas sur la base d’une analyse au cas par cas de leur situation individuelle (ce qui reste légalement possible1, mais en raison de leur appartenance à un groupe spécifique, identifié comme tel.

Il est donc logique que la Commission européenne, gardienne des traités, ait annoncé le 14 septembre, par l’intermédiaire de la Commissaire à la justice Viviane Reding, son intention de porter l’affaire devant la Cour de Justice de l’Union européenne. L’annonce est certes une surprise, la Commission ne nous ayant récemment pas habitué à une telle fermeté face aux Etats membres, mais une surprise plus qu’agréable : en agissant de la sorte, la Commission est dans son rôle, celui de la défense du droit.

Le droit, cependant, semble bien être la dernière des choses dont se préoccupent le Président de la République, son gouvernement et certains membres de sa majorité, tout obsédés qu’ils sont par la dérive sécuritaire et populiste initiée cet été. Petit florilège de déclarations à l’emporte-pièce :

1) Peu après la déclaration de la Commissaire à la justice Viviane Reding, Nicolas Sarkozy lui suggérait, par l’intermédiaire de sénateurs UMP, « d’accueillir des Roms au Luxembourg ».

2) De son côté, le ministre des affaires européennes Pierre Lellouche déclarait, à l’issue du vote du Parlement européen le 9 septembre appelant Paris à suspendre immédiatement les expulsions de Roms, qu’un « grand Etat comme la France, patrie des droits de l’Homme, n’a pas de leçons à recevoir ». A propos des déclarations de Mme Reding, M. Lellouche estimait que « la Commission ne peut s’ériger en censeur des Etats ».

3) Enfin, la palme revient sans doute à la députée UMP Chantal Brunel, pour laquelle « on n’a pas de leçon à recevoir d’un pays qui, je crois, compte 350.000 habitants ».

Perdu, perdu et perdu ! La Commissaire luxembourgeoise Viviane Reding ne parlait bien évidemment pas au nom de son pays d’origine (ce qui est formellement interdit par les traités) mais au nom de la Commission européenne, ce que n’a pas manqué de rappeler le ministre des affaires étrangères du Grand-Duché. Et en ce qui concerne le rôle de « censeur » et les leçons de la Commission, tout Etat membre de l’UE, patrie des droits de l’Homme ou pas, est tout à fait à même d’en recevoir s’il ne respecte pas le droit communautaire, c’est même là toute la spécificité de la construction européenne. Les réactions de la majorité à l’annonce de Mme Reding font donc preuve d’une large méconnaissance des règles de base de l’Union européenne, ou plus probablement, et c’est la chose la plus grave depuis le début de « l’affaire » des Roms, d’un total mépris à l’égard de ce que représentent ces règles, la Commission et l’Union européenne dans son ensemble.

La politique d’expulsion des Roms ne constitue pas, dans la réalité des faits, une atteinte systématique et fondamentale aux droits humains. On n’a (jusqu’à présent) pas entendu parler de cas de mauvais traitements ou autres atteintes physiques, même si les traumatismes qui peuvent résulter des interventions policières et des expulsions ne sont sûrement pas négligeables. Apparemment, le nombre d’expulsions de Roms en 2010 (8030 au 25 août selon Eric Besson) ne serait pas beaucoup plus important qu’en 2009 (environ 10.000), ce qui n’est certes pas rassurant en soi mais pourrait tendre à prouver que les annonces n’ont pas d’immenses conséquences pratiques (ce qui n’est pas étonnant quand on sait que le nombre de Roms roumains et bulgares présents en France est estimé à 15.000).

Concrètement, il s’agit avant tout d’une politique inefficace qui consiste à expulser vers d’autres pays faisant partie du même espace de libre circulation des populations nomades ! D’où les exemples de Roms se retrouvant avec 300€ d’aide au retour en poche avant de prendre, justement, le chemin du retour…vers la France.

Le principal problème posé par la politique de Nicolas Sarkozy est donc le climat malsain et délétère qu’elle instaure. Un climat qui, en France, encourage la désignation d’une communauté ethnique comme bouc émissaire, la discrimination et, in fine, l’affrontement. Au niveau européen, l’idée de coopération et de solidarité entre Etats membres, l’idée même de Communauté européenne, qui se trouve agressée. La transposition au niveau européen de la violence verbale et de l’invective qui ont cours dans le débat politique français serait redoutable.

Ce contexte risque de rendre bien difficile la possibilité de développer une réponse européenne à la « question » des Roms et de leur intégration, l’Europe étant le seul niveau auquel une action efficace puisse être menée. Plus généralement, l’attitude de la France et la défiance qu’elle suscite dans le reste du continent sont en contradiction frontale avec le besoin d’une action européenne renforcée au niveau économique, diplomatique ou de la lutte contre le changement climatique, ce dont la France aime habituellement se faire la championne.

Dans un communiqué publié le 15 septembre, l’Elysée « prenait acte » des excuses présentées par Mme Reding pour ses déclarations « outrancières » à l’égard de la France. Outre le fait que Mme Reding ne s’est pas excusée mais a simplement dit « regretter les interprétations » de ses déclarations ; outre le fait que Mme Reding, malgré le caractère maladroit de ses déclarations, n’avaient pas comparé les expulsions de Roms à la Shoah mais avait simplement dit « penser que l’Europe ne serait plus le témoin de ce genre de situation après la deuxième guerre mondiale » ; c’est surtout l’Elysée qui, par le mépris et la suffisance à peine dissimulés de ce communiqué, se montre outrancier, comme tant de fois depuis cet été.

L’attitude française vis-à-vis des Roms roumains et bulgares a déjà été fortement critiquée par deux comités de l’ONU, le Parlement européen et la Commission européenne. Plusieurs Etats membres, dont l’Allemagne, ont exprimé leur inquiétude quant au respect du droit européen, tandis que même des sources officielles américaines appellent la France à « respecter les droits des Roms ». La seule réplique de Paris a jusqu’à présent été de balayer les critiques du revers de la main, de les considérer avec l’arrogance d’un premier de la classe trop sûr de ses qualités. Pourtant, à quelques mois de sa présidence du G8 et du G20, c’est bien l’image internationale de la France, et donc son influence et le rôle de « donneur de leçons » qu’elle affectionne tant qui s’en trouvent fortement endommagés. Y remédier nécessitera probablement beaucoup de temps, et l’élection d’un nouveau chef d’Etat. Le rendez-vous est pris, et il est pour dans moins de deux ans.

Crédit photo : Sylvain Lapoix (Nicolas Sarkozy à Toulon, 25/09/2008).

Billet initialement publié sur :

  1. car il est en effet possible pour un citoyen européen d’être malgré tout en situation irrégulière sur le territoire d’un autre État de l’Union, notamment pour les citoyens roumains et bulgares, soumis jusqu’à 2014 au plus tard à des restrictions au droit de séjour et d’accès au marché du travail – voir pour cela ce bon récapitulatif du Journal du Marché Intérieur []

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