Le Web, acteur et enjeu de la vie politique russe

Le 4 mai 2011

Le Web russe affirme progressivement son potentiel politique. Cependant, à l’approche des élections parlementaire et présidentielle, les autorités russes développent des stratégies de contrôle alternatives afin de prévenir « un printemps russe ».

Relativement libre, le traitement du Web en Russie contraste avec le contrôle étroit exercé sur les médias traditionnels, télévision en tête. Le phénomène des blogs est porté par la croissance substantielle du Net en Russie depuis une décennie. Le potentiel politique de la blogosphère est régulièrement mis en avant par les affaires de corruption révélées par des blogueurs-militants, comme celui impliquant le groupe pétrolier Transneft, dénoncé par Alexeï Navalny [EN] à l’automne 2010, ou la polémique née de la construction d’une autoroute traversant la forêt de Khimki [EN], au nord de Moscou.

La blogosphère, caisse de résonance du ressentiment populaire

La mobilisation pour la sauvegarde de cette zone protégée s’est structurée en grande partie sur la blogosphère. Dans les situations extrêmes, les blogueurs sont les premiers à répandre la nouvelle et à agréger l’information. Le rôle des blogs et des micro-blogs, comme Twitter, a ainsi été crucial dans la couverture médiatique des attentats du métro de Moscou en mars 2010 ou des incendies dévastateurs de l’été 2010. L’action d’opposition concerne désormais moins les figures ou partis politiques que les actions de terrain. Le Web sert souvent de dernier recours dans des situations désespérées, comme en témoigne la mode des « policiers YouTube » [EN] ou les manifestations d’automobilistes dans l’Extrême-Orient. Les sceptiques estiment que les blogs sont utilisés par l’Etat comme un moyen de canaliser les opinions critiques tout en conservant intact un système politique semi-autoritaire.

Dimitry Medvedev - World Economic Forum Annual Meeting 2011

Cette utilisation politique du Web – néanmoins balbutiante – a attiré l’attention du Kremlin. Le numérique crée en effet un défi de gouvernance et de légitimité politique que le président Medvedev, plaçant les nouvelles technologies en tête des priorités de son mandat et lui-même technophile convaincu, a su anticiper. Cette démarche se traduit par une implication de plus en plus visible des gouvernants (ministres, parlementaires, gouverneurs des régions) sur les principales plateformes de blogs et les réseaux sociaux comme Vkontakte (équivalent russe de Facebook) ou Twitter. A l’origine de ce « dédoublement virtuel » : l’inquiétude du Kremlin dans la perte de confiance des citoyens dans les médias officiels, tandis que le Web est un moyen de promouvoir la modernisation du système politique. Avec plus ou moins de succès [PDF] jusqu’à présent.

Frontières numériques = frontières physiques ?

Multipliant les projets dans la sphère numérique, l’État russe est un « acteur proactif » du Web, qui tente de modeler l’espace d’information national et de diffuser des messages politiques qui lui sont favorables. L’objectif est de parvenir à une « russité » du Net russophone, c’est-à-dire de calquer les frontières numériques sur les frontières physiques. Dans cet objectif, les autorités superposent une série d’initiatives incitant les internautes à rester dans le cadre du cyberespace national. Tant le projet de créer un moteur de recherche d’État [RU] que l’adoption de l’open source par les différents organes du pouvoir ou le lancement d’un nom de domaine en cyrillique relèvent de cette logique.

En plus de « souverainiser » le Net russe, le Kremlin cherche à établir un contrôle à la fois plus ferme et sophistiqué sur le Web. Le pouvoir a su créer un corpus juridique favorable au contrôle des flux informationnels et cultiver une communauté dynamique de « gourous de l’Internet ». Ceux-ci, par le biais de startups, favorisent la diffusion de messages pro-Kremlin dans les forums et blogs. En outre, l’État concentre les actifs des firmes russes du Net entre les mains d’entrepreneurs proches du Kremlin. On estime ainsi que près de 70 % des pages vues sur le Net russe appartiennent aux sites web du groupe Mail.ru (ex Digital Sky Technologies), qui rassemble le portail Mail.ru, les réseaux sociaux Vkontakte et Odnoklassniki, et participe au capital de Facebook et de startups prometteuses comme Groupon, Zynga ou Spotify.

La route vers les élections sera numérique

Le discours des dirigeants russes sur le numérique reste toutefois empreint d’une certaine schizophrénie. D’un côté, l’administration présidentielle, autour de Dmitri Medvedev, focalise ses initiatives sur le potentiel modernisateur et innovant des nouvelles technologies du Net. D’un autre côté, les siloviki – l’entourage de Vladimir Poutine – redoutent un « scénario à l’arabe » : en Tunisie et en Egypte, les outils du Web 2.0 ont joué un rôle indéniable dans l’organisation des manifestations et la diffusion des événements en cours. Pour ce clan politique, l’Occident – avec Google, Facebook, Twitter et YouTube en « bras armés » – aurait trouvé là un nouveau moyen de faire avancer ses intérêts après les révolutions de couleur dans l’espace post-soviétique. Les récentes déclarations d’Igor Setchine (vice-premier ministre) et d’un haut responsable du FSB, assimilant ces outils à une « menace pour la sécurité de la Russie », valident cette nervosité au sommet.

Quant aux internautes, les récentes cyber-attaques sur la plateforme de blogs LiveJournal [RU], très populaire, ravivent leurs craintes. Assimilées à un « galop d’essai » du pouvoir avant les échéances électorales par certains blogueurs russes, ces attaques traduisent le potentiel de nuisance des autorités sur le Net. A l’approche des campagnes électorales, le rôle des médias et réseaux sociaux sera donc à surveiller de près.


Illustrations Flickr CC France Diplomatie et World Economic Forum

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