Le numérique, une matière cognitive

Le 28 décembre 2009

Vous le verrez sur tous les média : à la Noel 2009, Amazon a vendu plus de livres numériques que de livres papiers. C’est vraiment une étape décisive dans l’histoire de l’humanité, car cela veut dire que le numérique n’est plus l’affaire de quelques passionné éparpillés au quatre coins du monde mais qu’il est devenu chose commune. Nous devenons une majorité à être au contact de cette matière ...

Vous le verrez sur tous les média : à la Noel 2009, Amazon a vendu plus de livres numériques que de livres papiers. C’est vraiment une étape décisive dans l’histoire de l’humanité, car cela veut dire que le numérique n’est plus l’affaire de quelques passionné éparpillés au quatre coins du monde mais qu’il est devenu chose commune. Nous devenons une majorité à être au contact de cette matière. Elle nous relie. Elle nous divise parfois. La façon dont elle sera partagée fera le sort de sociétés entières.

A chaque fois qu’une société humaine a changé la façon dont elle produisait, stockait et diffusait l’information, il y a eu des changements majeurs à l’échelle de l’humanité. L’invention de l’écriture, quelque part dans le bassin fertile vers – 3300 ans avant J.-C. est souvent donné en exemple. Avec l’écriture, viennent toute une série de changements : l’agriculture, la ville, la loi… Elle mature lentement jusqu’au 15ieme siècle avec l’imprimerie de Gutenberg explosant alors en une série de changements que l’on connait sous le nom de Renaissance. Mais que serait l’écriture sans la tablette d’argile, le volumen et le codex ? Que serait l’écriture sans le support sur lequel elle s’écrit ? Que serait l’écriture sans le tissu et le papier, ces matières premières d’humanité ?

Les matières premières d’humanité

Tissu et papier sont en effet les deux matières premières de l’humanité. Se couvrir, recouvrir ses morts, c’est déjà afficher son statut d’animal dénaturé, c’est se dire comme singe nu. C’est à la fois se différencier et se rapprocher de l’animal dont on a pris la peau.

Lorsqu’il se fait bannière ou drapeau, le tissu rassemble. Teint, que ce soit par impression ou teinture, ses couleurs et ses motifs  disent le chatoiement des émotions ou l’opulence. Lorsqu’il ne l’est pas, il se présente comme signe de simplicité ou d’humilité. En contact avec la peau, il sait nos mouvements intimes tandis que sa face externe présente les signes de prestige ou de pauvreté. Les tissus de prière nous mettent en contact avec le divin tandis que d’autres tissus nous mettent contact avec le désir dans ce qu’il a de plus charnel.

Le papier nous accompagne également dans tous les aspects de nos vies. Il nettoie nos excrétions, enveloppe nos aliments, forme les murs de nos maisons et recueille nos pensées qu’elles soient brouillonnes ou qu’elles prétendent à l’autorité de la chose imprimée. il supporte les récits qui fondent une identité, un groupe familial, une société ou une nation. Il est ce vers quoi on revient pour s’assurer de la chose dite.

Le tissu et le papier ont été moteurs de progrès industriel. D’immenses industries se sont organisées autour de leur production et de leur diffusion, amenant des changements sociaux profonds dans les sociétés.

Le tissu et le papier sont porteurs de codes donnant aux générations leurs identités collectives et individuelle. Le jean en est une figure exemplaire. La lente disparition du papier au fil du temps et son remplacement par le mail en est un autre exemple.

Le tissu et le papier nous rendent le monde intelligible : tous deux nous aident a penser les déchirures, les séparations, les enveloppements, les protections, la mémoire…. Ce sont des miroirs sensibles du temps qui passe, de nos émotions, et de nos pensées. Ils nous sont éminemment précieux car ils nous offrent des métaphores pour penser le monde et l’humain.

Le numérique, troisième matière cognitive.

Si l’on prend appuis sur ce qui précède, on comprend que le numérique est la nouvelle matière à penser de l’humanité.

Le progrès industriel. Le numérique a été porté par une aventure industrielle à nulle autre pareille. Entre l’ENIAC de 1946 et les ordinateurs d’aujourd’hui, les innovations ont été exponentielles que ce soit du point de vue de des capacités de stockage ou des vitesses de cacul. L’accélération est telle qu’un ordinateur est déjà obsolète lorsqu’il sort du magasin ! L’industrie de l’ordinateur personnel, à laquelle personne ne croyait, a soutenu le développement de l’industrie du jeu vidéo et toute une culture, dont la figure de proue est le geek, a largement débordé des écrans de jeu pour devenir banale.

Les identités individuelles et collectives. La plasticité de la matière numérique en fait un excellent candidat pour exprimer et travailler les états du self. Les matières numériques nous mettent en contact avec les autres davantage et plus souvent que le monde pré-numériques1.

Un monde intelligible. Les capacités de stockage des machines ont atteint un tel niveau que nous sommes maintenant assurés de pouvoir disposer d’une vie entièrement digitalisée … Ainsi, un projet comme My Life Bits qui était à l’origine un projet de recherche high-tech est maintenant à la portée de chacun. Que faisons nous d’autre que de documenter nos vies avec nos updates Facebook et Twitter ? Le numérique nous sert déjà de mémoires individuelles et collectives. Mais d’ici une génération, ces mémoires individuelles deviendront pleinement des caves et des greniers dans lesquelles des enfants viendront chercher des signes de vie de leurs ascendants.

Cela ne passera pas sans crises. L’industrie de l’information est mise à mal par les matières numériques et un dispositif comme le Kindle d’Amazon permet a un tiers d’avoir accès aux bibliothèques individuelles, ce qui ne manque pas de poser quelques problèmes. Des événements comme #amazonfail ou #balloonboy nous montrent combien ces matières sont efficaces dans la contagion des émotions. Mais cela se passera. Cela est même déjà passé : amazon vend plus de matières numériques que de papier.

Il va maintenant nous falloir apprendre a faire et à penser avec ces matières numériques.

» Article initialement publiés sur Psy & Geek

  1. ce qui signifie que nous sommes aussi davantage en danger d’être moins connectés qu’auparavant.) ). Nous disposons individuellement d’outils qui il y a 20 ans était si onéreux qu’ils étaient entre les mains des studios de cinéma. Les images, et les imaginaires, sont reconfigurés, donnant naissance à des mêmes qui parcourent les espaces sociaux( (dernier  exemple en date, le lipdub des jeunes de l’UMP. []

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