Russie : la collaboration en ligne comme nouvelle forme de gouvernance ?

Le 12 septembre 2010

En Russie, lors des incendies de cet été, les internautes n'ont pas seulement critiqué les carences des autorités mais ont aussi témoigné d’une grande solidarité et d’une capacité à s’organiser pour lutter contre ce désastre.

Ce billet a été originellement publié sur Global Voices, écrit par Gregory Asmolov et traduit par Claire Ulrich.

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Le rôle des médias sociaux en ligne et de la blogosphère est habituellement traité sous l’angle de la transparence et de la responsabilisation des dirigeants. Ceux qui militent pour l’utilisation citoyenne des médias sociaux le font pour dévoiler les échecs d’un gouvernement et le mettre face à ses responsabilités. Durant les gigantesques incendies de cet été en Russie [anglais], le rôle de ces médias a cependant dépassé ce cadre. Les internautes ont non seulement mis à jour les carences des autorités mais ont aussi témoigné d’une grande solidarité et d’une capacité à s’organiser pour lutter contre ce désastre.

Des volontaires près de Roshal (district de Shatursky, region de Moscou) voyant bruler la forêt, nettoyant les débris, éteignant les petits feux

Volontaires près de Roshal (district de Shatursky dans la région de Moscou) regardant la forêt bruler, nettoyant les débris, éteignant les petits feux

La communauté des internautes russes ne s’est pas limitée à aider les victimes des incendies en ligne. Des blogueurs ont créé des brigades de pompiers volontaires, sont allés sur le terrain et ont offert rapidement de l’aide. Au-delà de réponses aux questions telles que “comment devenir pompier”, “comment lutter contre différents types de foyers d’incendie”, “quel équipement devrait avoir un volontaire”, Internet a donné une plateforme pour coordonner et échanger des informations 24 h sur 24 sur une situation en évolution rapide.

Que les internautes aient pris l’urgence dans leurs propres mains a permis de faire passer un message bien plus percutant que des critiques envers le gouvernement. Jusqu’à un certain point, les internautes russes ont comblé les lacunes des autorités. C’est une situation qui peut surprendre car la capacité de la blogosphère russe a influencé au delà du cyber-espace a souvent été mise en doute.

Alors, qu’est-ce qui a provoqué un résultat aussi extraordinaire ?

Les carences des autorités ont été le déclic de la collaboration en ligne

Il existe plusieurs explications. L’approche sceptique affirme que la raison principale du réveil des internautes russes a été le niveau  élevé du danger pour eux mêmes. Contrairement à d’autres urgences, les incendies affectaient la population entière de Moscou. Un internaute anonyme a ainsi expliqué [en russe] son parcours au site Lenta.ru :

Когда горела Сибирь, нам было, честно говоря, пофигу. Когда пожар был в соседнем лесу, мы ковыряли в носу на даче и загорали под солнышком. Когда сгорела Выкса, мы проснулись и вскрикнули: “Власти бездействуют!” Через полчаса мы припомнили какую-то там бучу с Лесным кодексом и кинулись к компьютеру. Через час блогосфера бурлила. А на следующий день, когда Москву заволокло дымом, нам стало страшно, и мы бросились работать на благо страны.

Quand la Sibérie brulait, honnêtement, on s’en fichait complètement. Quand les incendies étaient dans les forêts proches, [on n'a rien fait], on prenait le soleil à la campagne. Quand Vyksa a été détruite par le feu, on s’est réveillés et on a crié : “Le gouvernement ne fait rien !” Une demi-heure plus tard, on s’est rappelé de quelque chose à propos d’un codex de la forêt et on s’est précipité sur nos ordinateurs. Une heure plus tard, la blogosphère était en ébullition. Le jour suivant, quand la fumée a envahi Moscou, on a pris peur et on s’est mis à bosser pour le bien de notre pays.

Au-delà de ce point de vue cynique, l’énorme mobilisation  peut être expliquée par deux facteurs. La collaboration a été provoquée par la réalisation que les autorités ne contrôlaient plus la situation et, de plus, refusaient d’en endosser la responsabilité. Et la présence de technologies de l’information a permis l’échange d’informations et les outils pour la coordination d’une collaboration efficace.

Ce sentiment de profonde méfiance envers le gouvernement a été l’un des leitmotivs de la conversation en ligne sur les incendies. Anna Baskakova, une experte en art qui a participé activement à la lutte contre les incendies, a publié un appel à Sergey Shoigu, le ministre russe des situations d’urgence. Cet appel a généré plus de 2 400 commentaires et est devenu l’un des billets les plus lus de la semaine. Anna Baskakova a écrit [en russe]:

… у меня исчезли последние детские иллюзии, связанные с тем, что кто-то там, наверху, о нас заботится и нас защищает (нет, я не о Боге, я говорю о руководстве страны и о Вас в том числе). Теперь я стала взрослым человеком и рассчитываю только на себя.

… J’ai perdu cette illusion puérile que quelqu’un, là haut, prend soin de nous et nous protège (non, je ne parle pas de Dieu, je parle du gouvernement de ce pays, vous compris). Maintenant, je suis devenu adulte et je ne compte plus que sur moi-même.

L’un des moments où l’exaspération des internautes envers le gouvernement a atteint son comble a été le moment où le Premier ministre Vladimir Poutine a co-piloté un avion des pompiers [en anglais], une initiative qui a été unanimement vue comme un coup médiatique. Certains se sont demandés si Poutine avait vraiment le droit légalement de co-piloter un avion. Un blogueur a demandé [en russe]:

Премьер-министр тушит пожары; Премьер-министр реанимирует 80-летних бабушек; Премьер-министр сеет пшеницу. А кто управляет страной?

Le Premier ministre lutte contre les incendies : le Premier ministre ressuscite les grands mères de 80 ans ; le Premier ministre sème du blé. Et qui dirige le pays ?

Dans un billet sarcastique, intitulé “L’innovation dans la lutte contre les incendies,” Leonwolf dresse une liste [en russe] des mesures que peuvent prendre les autorités pour éteindre les incendies. La liste comprend :

L’une des plus virulentes critiques contre la gestion de cette crise est venue de Yulia Latynina, journaliste à Echo Moskvy. Elle affirme [en russe] que l’état russe a atteint un nouveau stade de déliquescence puisque même la présence de Poutine n’a plus pu provoquer un mieux :

Мы видим, что система по-прежнему не функционирует. Над Москвой стоит смог, московские морги переполнены. Лужков даже не вернулся из отпуска. Система продолжает выделять 9 млрд. рублей на чистую воду, переименовывать милицию в полицию. Здорово, ребята, давайте лучше не милицию в полицию переименуем, а сразу, как кто-то пошутил в блогах, ВАЗ переименуем в БМВ, те же самые три буквы. И тремя буквами всё это накроется.

Nous pouvons voir que l’appareil ne fonctionne toujours pas. Moscou est maintenant recouvert par la fumée. Les morgues de Moscou débordent. Luzhkov [le maire de Moscou] n’est pas rentré de vacances. L’appareil continue à allouer 9 millions de roubles pour de l’eau potable, rebaptise militia en  police. C’est super les mecs, ne rebaptisons pas militia en police, mais, comme l’a proposé un blogueur en plaisantant, VAZ [une usine russe de voitures] en BMW – trois lettres identiques (en russe). Et avec trois lettres, tout sera recouvert  [allusion a une malédiction russe].

"Avez-vous signé pour être volontaire ?". Illustration de ryskan sur Live Journal

La technologie permet aux communautés de se substituer aux autorités

Les incendies en Russie ont démontré qu’avec l’aide de nouvelles technologies, des communautés d’internautes pouvaient suppléer à la fois aux fonctions et aux structures de l’État.

L’un des signes les plus révélateurs de l’échec du gouvernement russe a été que les internautes ont du acheter eux mêmes du matériel – dont des tuyaux d’arrosage – pour les brigades de pompiers professionnels. Igor Cherskiy, l’un des leaders du mouvement des bénévoles sur le Net, par ailleurs écrivain et blogueur, a demandé [en russe] au Ministre Shoigu non pas de l’aide, mais des instructions sur quel type de tuyaux acheter :

Назовите, пожалуйста, адреса, где вы прячете эти сокровища. Мы приедем и даже купим их у вас же, чтоб вам же привезти, чтобы вы потушили пожар. <…> Понимаете? Наши женщины не боятся покупать пожарные рукава для ваших героических войск. Они только боятся “купить ненужное”.

S’il vous plait, donnez-moi les adresses où vous dissimulez ces trésors. On viendra et on vous les achètera et on vous les donnera ensuite, pour que vous puissiez éteindre les incendies…Vous comprenez ? Nos femmes n’ont pas peur d’acheter des tuyaux pour vos troupes héroïques. Elles ont uniquement peur “d’acheter le mauvais modèle”.

Le ministre Shoigu n’a pas répondu à Igor Cherskiy, mais un autre blogueur -  fort_i_ko sur LiveJournal, un ancien pompier  – a expliqué en détails quels types de tuyaux acheter.  Igor Cherskiy conclut [en russe] :

Ура! Теперь любая кухарка сможет управлять МЧС. Ибо очень доходчиво всё изложено.

Hourra ! Maintenant, n’importe quel cuisinier pourra courir au Ministère des urgences. Parce que maintenant, tout a été expliqué très clairement.

La célèbre phrase de Vladimir Lenine – “Chaque cuisinier doit apprendre comment gouverner l’État” ne s’appliquait pas, bien sûr, dans cette situation. C’est la mobilisation des internautes qui a provoqué l’émergence de plusieurs leaders des opérations de secours, et  la répartition des responsabilités entre eux. Sur LiveJournal, _alisa a écrit [en russe] après un de ses déplacements dans une zone dévastée par les incendies :

вчера мы ездили в Кулебаки чтобы отвезти им все это – необходимые пожарным инструменты, продукты, средства защиты были приобретены на деньги блоггеров, организовал наш десант по заброске всего этого в «горячую точку» i_cherski , который как известно на общественных началах замещает временно недееспособное руководство МЧС.

Hier, nous avons été à Kulebaki pour leur apporter tout ce dont ils avaient besoin – du matériel de pompiers, de la nourriture, des  accessoires pour se protéger, achetés avec l’argent réuni par les blogueurs. Notre mission vers ce “point chaud” a été organisée par i_cherski, qui, comme vous le savez, remplace temporairement la direction incompétente du Ministère des situations d’urgence.

Si i_cherski a rempli le rôle du Ministère des situations d’urgence, le rôle du Ministère de la santé et des services sociaux a été rempli par Elizaveta Glinka, dont le pseudonyme est doctor-liza. Son appartement a été transformé en quartier général de coordination pour l’aide et de zone de stockage tout à la fois.

Grâce à l’aide de la communauté pozar_ru sur la plateforme de blogs LiveJournal, Igor Cherskiy et Elizaveta Glinka sont devenus les deux chefs de la collaboration en ligne des bénévoles. Malgré leur succès, des actions collectives de ce type souffrent souvent d’un manque de coordination. L’afflux d’un nombre colossal d’offres d’aide, ajouté à l’excès d’informations, menaçaient l’idée même d’une coordination efficace. De plus, des associations qui prenaient une part active au missions de secours n’avaient aucune présence sur Internet. A titre d’exemple, un rôle important a été joué par une organisation caritative de l’Église orthodoxe russe [en russe].

Une plateforme de management qui a rendu possible les offres d’entraide mutuelle a été la  “Help Map” [en russe] – le premier déploiement en Russie de l’outil de suivi de crise Ushahidi [en anglais] qui a agrégé les informations de toutes les sources et les a organisées en catégories, géolocalisées et horodatées. La composante collaborative de la  “Help Map” a permis d’inclure des personnes qui pouvaient partager des informations en ligne au delà du cercle des blogueurs et des internautes. “Help Map” a créé une base de données utiles et mis sur pied un centre de coordination pour mettre en relation ceux qui avaient besoin d’aide, et ceux qui en offraient, à partir d’informations fournies par une carte interactive. Le blogueur ottenki-serogo, qui a visité le centre de coordination de Ushahidi à Moscou, a décrit ainsi [en russe] le rôle de la “Help Map”:

Карта Помощи – без сомнения проект года. Возможно, его даже наградят, посмертно, когда пожаров в стране, наконец, не станет. Скорее всего это будет какая-нибудь интернет-премия, но никак не признание заслуг государством. Впервые (вы можете вспомнить что-нибудь подобное?) интернет добровольцы не только объединились в желании помочь, но и создали сайт, колл-центр, систему мониторинга и обмена информацией.  […] Они не связаны ни с какими организациями и политическими партиями, они сами по себе, они тихо растворятся среди нас, когда беда отступит, и соберутся снова чтобы помогать, если, не дай бог, случится. Система создана, обкатана и готова к повторению.

“Help Map” est, sans doute permis, le projet de l’année. Peut-être qu’il obtiendra un prix à titre posthume, quand les feux seront, enfin, éteints. Probablement obtiendra-t-il une distinction dans le monde d’Internet, mais certainement pas de la part du gouvernement. Pour la première fois (est-ce que quelqu’un se souvient de quelque chose de ce genre avant ? ) des bénévoles, via Internet, n’ont pas simplement uni leur désir d’aider, mais ont lancé un site, ouvert un centre d’appels, déployé un système de suivi de crise et d’échanges d’informations. […] Ils ne dépendent d’aucune organisation ni d’aucun parti politique, ils sont tout seuls, et ils disparaitront progressivement quand la crise se résorbera, pour se rassembler à nouveau si, à Dieu ne plaise, quelque chose arrivait. Le système a été créé, et il est maintenant prêt à être réactivé.

Le centre de coordination de la "Help Map". Photo de Ottenki-Serogo

“Help Map” n’a pas simplement envoyé un message fort au gouvernement : qu’il n’est pas capable de s’occuper de ses propres citoyens. Il a aussi présenté un mécanisme alternatif pour une nouvelle forme de responsabilité qui émerge parmi les citoyens.  Ushahidi est devenu une institution de la société civile. Il s’agissait des premiers pas d’une nouvelle réalité, au sein de la quelle les citoyens forment des mécanismes et des institutions alternatives pour palier au vide des structures gouvernementales.

L’alliance d’une communauté en ligne concentrée sur une tâche, de plusieurs leaders et d’un centre de coordination, d’un outil comme la carte interactive en ligne Ushahidi crée un nouveau modèle de collaboration en ligne, qui peut offrir une réaction efficace et rapide. Le blogueur grey-wolk résume [en russe] le rôle du modèle qui vient d’émerger :

Люди без указаний, без поощрений и жажды славы просто начали сами исполнять функции государства. […] Выяснилось, что сочетание активных людей, новейших технологий распределенной работы,  отсутствие формальных ограничений и неограниченного источника знаний в виде сетевых ресурсов Интернета приводит к тому, что данный “виртуальный” коллектив весьма небольшой численности может проводить операции, реально влияющие на огромное пространство - несколько областей России.

Sans aucun ordre, sans encouragement, sans recherche de gloire personnelle, les gens ont juste commencé à remplir les fonctions dévolues à l’État. […] Il se trouve que la rencontre entre des personnes actives, les dernières technologies permettant la répartition du travail, le manque de restrictions formelles et les ressources illimitées de connaissances disponibles sur Internet conduisent à une situation où ce groupe relativement restreint est capable de prendre en charge des opérations qui ont un impact réél sur un territoire immense – quelques régions de Russie.

Ce qui est décrit ci-dessus est un exemple du phénomène de  “gouvernance sans gouvernment” (un terme qui a fait son apparition en 1992, avec James Rosenau et  Ernst-Otto Czempiel [en anglais]). La ”Gouvernance sans gouvernement” est devenue  possible et utile grâce aux nouvelles technologies de l’information. Elles ont de plus permis de faire émerger de nouvelles institutions dans le monde réel (par exemple, le centre de coordination créé comme extension physique de la “Help Map“).

Certains blogueurs en Russie voient déjà dans la réaction face aux incendies ce qui peut être le début d’un nouveau modèle politique pour la Russie, où des citoyens armés de technologies pourraient prendre en main la gouvernance. Le blogueur grey-wolk développe ce concept dans un billet intitulé  “Les incendies comme catalyseurs de l’auto-gestion en Russie” [en russe]:

При всех ошибках и несколько хаотической  форме создания “виртуальной организации” можно выделить несколько главных положений:
- в России существуют люди, способные самоорганизовываться и осуществлять существенные макроскопические воздействия
- “виртуальный коллектив” такого уровня может быть создан практически в любое время и способен осуществлять серьезную деятельность через 2 -3 недели после старта проекта.
Таким образом, после июля – августа 2010 года в России наконец то появился зачаток позитивного движения, и не считаться с его наличием формальные власти уже не в состоянии. Данное движение пока затрагивает в основном сферу деятельности МЧС. Что на очереди?

Malgré toutes les erreurs, et la création assez chaotique d’une “organisation virtuelle”, nous pouvons tirer plusieurs conclusions :
- il existe des personnes en Russie capable de s’organiser et d’avoir des macro-impacts significatifs.
- “un groupe de travail virtuel” de ce type peut être créé n’importe quand et peut maintenir une activité conséquente pendant deux à trois semaines après le début du projet.En conséquence, après juillet-août 2010, nous voyons enfin les premiers signes d’un mouvement positif en Russie, et le gouvernement ne peut plus l’ignorer. Jusqu’ici, ce mouvement affecte surtout l’activité du Ministère des situations d’urgence. Mais après ?

“Gouvernance sans gouvernement” : les obstacles

Une coopération menée à bien ne peut pas réussir sans une grande confiance mutuelle entre les personnes. John Clippinger, dans son livre “Une foule d’une seule personne :  le futur de l’identité numérique” [en anglais], avance que l’intensité de la collaboration en ligne dépend de la possibilité d’évaluer la réputation et la crédibilité des autres membres.

La crise des feux de forêts en Russie a montré que les membres de ces communautés virtuelles inspirent plus confiance que le gouvernement. Anna Baskakova écrit [en russe] :

[…] я поверила в человеческую доброту. Потому что мне отовсюду под честное слово шлют вещи, деньги и продукты, чтобы я потратила все это на тушение пожаров. Даже совсем незнакомые люди из-за океана говорят, что мне доверяют, и переводят суммы на мою карточку. Вам не шлют, Сергей Кожугетович? Странно. Отчего они не хотят вам помогать??

[…] J’ai pris confiance dans le genre humain. Parce que ces gens [me font assez confiance ] pour m’envoyer des biens, de l’argent, de la nourriture, pour que je puisse les investir dans la lutte contre les incendies. Même de parfaits étrangers vivant de l’autre côté de l’océan disent qu’ils me font confiance, et virent de l’argent sur ma carte de crédit. Et vous, Sergey Kozhugetovich [Shoigu] ? Est-ce que vous avez reçu quelque chose ? Non ? C’est étrange. Pourquoi ne veulent-ils pas vous aider ?

Cependant, les activités en ligne s’accompagnent aussi de beaucoup de méfiance mutuelle et d’incidents, surtout parce que le web russe est un espace où les blogueurs pro-gouvernement sont très actifs.

On peut penser que dans une situation d’urgence, le niveau de confiance mutuelle augmente beaucoup, et que, par conséquent, la collaboration en ligne devient possible. Cette confiance cependant est très fragile. Quand la crise se résorbe, le niveau de méfiance et les tensions augmentent.

Prolonger et amplifier la confiance nécessite plus d’options, comme celles de pouvoir évaluer qui sont vos partenaires et quelle est leur réputation. Il n’est pas surprenant que les leaders du mouvement en ligne aient été des personnalités déjà connues.  Clippinger argumente que le renforcement de la confiance en ligne à travers le développement d’une identité en ligne peut créer une nouvelle réalité sociale, avec des niveaux plus élevés de coopération et d’auto-gestion. Les incendies en Russie sont une nouvelle preuve que la “gouvernance sans gouvernement” exige un haut niveau de confiance mutuelle. Elle offre aussi de l’espoir, car les membres d’une communauté de ce genre ont la possibilité s’informer sur Internet sur le parcours de leurs compagnons. La coopération virtuelle ne nécessite pas seulement une identité en ligne bien développée, mais fait elle-même partie aussi du développement de cette identité.  Par la suite, quand un besoin de coopération se fait sentir, il peut se baser sur la confiance qui a été précédemment développée.

Certains obstacles à la collaboration en ligne doivent cependant être soulignés. L’un d’eux est  “la loi de fer de l’oligarchie” [en anglais]. Suggérée en 1911 par le sociologue Robert Michels [en anglais], la “loi” dit que toute forme d’organisation provoque une concurrence pour le pouvoir et créé ses propres “oligarques”. Dans un environnement virtuel, les centres producteurs d’informations deviennent un type d’oligarques. Les centres d’informations peuvent passer de la collaboration à la rivalité, et menacer l’efficacité de l’action en réseau.

Un autre problème est celui de l’audience. Les communautés et les blogs sur la plateforme LiveJournal s’adressent d’abord à des internautes actifs. La carte interactive  “Help Map” a tenté d’élargir son audience en utilisant les SMS des particuliers comme sources d’informations mais ces informations, dans leur majorité, sont distribuées sur le Net.  Parallèlement, les médias russes “traditionnels”  (surtout la télévision) sont contrôlés par le gouvernement et ont reçu l’ordre [en russe] d’ “éviter l’exagération et la dramatisation” des incendies. L’audience disponible pour la coopération en ligne est donc limitée.

Conclusion

Au cours de l’été 2010, le web russe est devenu un exemple de “gouvernance sans gouvernement” né de l’incapacité du gouvernement à gérer la crise. L’alliance de blogs, de communautés virtuelle, d’un outil  de suivi de crise, l’émergence de nouvelles institutions dans le monde réel pour soutenir cette structure, donne le cadre d’une prise en charge relativement efficace et coordonnée d’une crise.

La Russie n’est pas le seul exemple de ce phénomène. Dans son essai (encore inédit) “Téléphonie mobile & Gouvernance dans les zones fragiles ou hors état de droit” – Steven Livingston [en anglais] de l’université George Washington montre que les technologies de l’information et de la communication pourraient être des catalyseurs de nouvelles formes de gouvernance. Son essai démontre comment les téléphones mobiles peuvent  “créer de nouvelles institutions qui permettent aux personnes de mieux gérer leurs problèmes ( banque, sécurité,  informations pour le commerce) sans l’implication d’un gouvernement. Cela signifie que la coopération via la technologie devient graduellement une alternative à un gouvernement et un nouveau cadre pour l’autonomisation, dans différentes parties du monde. Dans ce cas, la mobilisation sur le Web russe pourrait n’être qu’un exemple parmi de très nombreux autres.

Le problème de la confiance, des relations en ligne, et de l’accès limité à Internet qui ne permet pas d’impliquer d’avantages de personnes est toujours présent. Il faut ajouter qu’un gouvernement qui identifie une forme rivale de gouvernance dans les réseaux sociaux peut aussi intervenir pour empêcher la collaboration en ligne.

Article de Gregory Asmolov et traduction par Claire Ulrich initialement publiée sur Global Voices

Photos CC Wikipedia Evgen2, et FlickR slack12

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