Le problème jeune, cache miséreux de la société française

Le 10 janvier 2011

Face aux analystes qui divisent la société en générations, CSP constate que, jeunes ou vieux, ce sont d'abord les déclassés qui trinquent. Si problème d'âge il y a, c'est avec les « vieux rentiers. »

Moitié-moitié : c’est ce qu’on se dit après la lecture de cette tribune du sociologue Louis Chauvel sur la jeunesse sacrifiée. Moitié diagnostic juste, moitié à côté de la plaque concernant les responsables réels de ce sacrifice et quant aux solutions proposées. Comme si le chercheur avait commencé à voir juste sans aller jusqu’au bout de sa propre logique, en reculant en quelque sorte sur les pistes de réflexion pourtant évidentes pour sortir et le d’jeunz et les autres aussi de l’effroyable merdier dans lequel nous ont précipité trente années de délire néolibéral.

Quels sont les symptômes de ce mal-être collectif ? Les plus visibles relèvent des difficultés de la jeunesse. Nous le savons, trente-cinq ans après l’extension du chômage de masse, la jeunesse a servi de variable d’ajustement. Chômage record, baisse des salaires et des niveaux de vie, précarisation, développement de poches de travail quasi gratuit (stages, piges, free-lance, exonération de charges, etc.), nouvelle pauvreté de la jeunesse, état de santé problématique et faible recours aux soins, absence d’horizon lisible.

Pourtant, il semble bel et bien que ce ne sont pas des gouvernements de gauche – ou en tout cas de vraie gauche, s’entend bien – qui ont construit ce drame collectif, mais des « élites » toutes massivement converties à l’économie de marché ; Louis Chauvel n’en parle pourtant pas, ou en tout cas n’adopte pas cet angle et trouve à déplacer le centre du problème non sur la réalité d’une classe exerçant une férule sans partage ni pitié sur une autre, mais construit une opposition générationnelle jeunes Vs. vieux qui déplace complètement la question.

Le « jeune » est partout… et donc nulle part!

Puisque ce n’est pas seulement pour les jeunes que l’avenir est sombre, mais pour ainsi dire tout le monde, exceptés bien entendu ceux qui profiteront largement de l’aliénation généralisée en chantier actuellement. Le sociologue choisit de se focaliser sur une classe d’âge spécifique, les « jeunes », pauvres, et les oppose à des « vieux » baby-boomers censés êtres nantis et doté d’un patrimoine conséquent notamment immobilier en ayant l’air d’oublier qu’avant que d’être une histoire d’âge, la domination se construit d’abord par rapport au statut social : un « jeune » précaire et un « vieux » à retraite minable ont plus en commun qu’un « jeune » sorti de grandes écoles et qui bénéficiera du réseau des « vieux » – ses parents et leurs connaissances – pour se placer à un poste valorisé et valorisant.

La construction de l’objet « jeunes » est de plus, outre son caractère spécifiquement occidental – au Pakistan, on a pas le temps d’être « jeune », on est à l’usine à 10 ans pour fabriquer des ballons de foot -, m’a toujours posé souci dans la mesure où précisément, quand on y regarde de plus près elle n’est que cela : une construction générique fallacieuse recouvrant des réalités et des vécus extrêmement disparates. Le « jeune », en fait, ça n’existe pas. La « jeunesse », si elle est une tranche d’âge commune à une multitude ne rassemble pas pour autant ni les mêmes personnes ni les mêmes destins sociaux.

Le seul vécu commun des jeunes : subir le pire que la société a à offrir

Non pas cependant qu’il ne faille pas se préoccuper du sort de cette classe d’âge qui fait partie, c’est incontestable, de ceux qui sont et seront les plus durement frappés par la saloperie en cours et sur ce point aussi Louis Chauvel tape juste.

Par-dessus tout, une frustration générale envahit les esprits devant l’accumulation des promesses non tenues : celle du retour au plein-emploi grâce au départ à la retraite des premiers-nés du baby-boom (rapport Teulade de 1999), de meilleurs emplois par la croissance scolaire, dans un contexte où le travail seul ne permet plus de se loger. Il s’ensuit une colère, voire une haine, qui se détecte clairement dans la jeunesse de 2010 et que le mouvement sur les retraites a paradoxalement canalisée.

Haine qui malheureusement, devant l’absence de débouché progressiste, peut très bien décider de se canaliser électoralement vers ceux et spécifiquement celle qui leur fournira les réponses les plus simplistes. Puisque comme le dit Eric Coquerel du Parti de gauche, on ne peut effectivement qu’être « inquiet de voir «des gens touchés par la crise, aspirant à des ruptures et des bouleversements» mais «qui ne font plus la distinction entre la gauche et la droite». «Ils peuvent, dit-il, être séduits par une alternative cauchemardesque»
(J’aurais évidemment préféré trouver cette phrase dans la bouche d’une personne du NPA, mais il est vrai que nous sommes terriblement occupés actuellement à débattre démocratiquement dans le respect de la parole de chacun afin que toutes les tendances puissent s’exprimer…)

Là où Louis Chauvel se plante, et sévèrement, c’est par la construction de son opposition entre « jeunes » et « vieux », car même si le poids démographique d’une population vieillissante pèse de plus en plus lourd politiquement parlant, et contribue, de fait, au « caractère profondément conservateur, rentier, de la société française dans son entier » – l’ambiance de conservatisme réactionnaire qui traverse tout le corps social trouve là une grande partie de son explication : les vieux regardent TF1 et flippent et ils votent en fonction de ce ressenti…-, les grands coupables de cette situation ne sont au final pas tous les « vieux » mais certains « vieux » : ceux qui possèdent le plus de patrimoine, immobilier entre autres, et comme par hasard possèdent aussi les moyens de productions.

Quand taxerons-nous les vieux rentiers ?

Quoi de commun entre Liliane Bettencourt (88 ans), Ernest-Antoine Sellière (73 ans), Serge Dassault (85 ans), et leur équivalents en âge qui croupissent dans ces mouroirs que son les maisons de retraites ? Et si vous voulez voir une belle brochette de baby-boomers et autres sémillants quinquas – sexas pas vraiment inquiets pour leurs retraites, c’est très simple : regardez les dates de naissance du conseil exécutif du MEDEF

La véritable opposition, le noeud du conflit, il se trouve dans des vieux bourgeois contre des jeunes déclassés ET tous les autres aussi…

Du coup, cette analyse déplace également les propositions à faire pour rééquilibrer la balance puisque si on ne peut nier l’urgente nécessité d’une politique du logement ambitieuse et particulièrement volontariste – allant jusqu’à confisquer les logements inoccupés à ceux qui refusent de les mettre sur le marché en préférant spéculer dessus (oui, ça sera une atteinte atroce au droit de propriété, en effet, le totalitarisme vous dis-je), il ne semble pas sot de se dire que ces vieux là, qui effectivement possèdent tout et refusent catégoriquement désormais de même laisser des miettes – rupture du « contrat fordiste » et recherche frénétique de la maximisation des profits -, il ne semble donc pas complètement aberrant que de vouloir les mettre à contribution et ce, disons, lourdement…

C’est en ce sens que Louis Chauvel, malgré des prémisses intéressantes, se trompe d’objets de défiance, mais il est vrai que tout ce qui précède est en effet quelque peu « marxiste » en effet ; et n’est-ce pas, le marxisme et ces 15 milliards de morts, on aura pas la vulgarité de l’employer en sociologie.

Billet initialement publié sur le blog Comité de salut sous le titre Le problème n’est pas là.

Photo FlickR CC slworking2 ; The US National Archives.

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