Nourriture contaminée, le nouveau business de la Camorra

Le 24 janvier 2011

Depuis plusieurs années, la mafia du sud de l'Italie se fait de l'argent dans la filiale agroalimentaire. Mais selon un mémo de WikiLeaks, le phénomène pourrait bien avoir pris une nouvelle dimension.

La mafia napolitaine s’était déjà rendue célèbre avec l’affaire de la mozzarella di buffala contaminée en 2008. Selon un mémo diplomatique publié par WikiLeaks, elle a trouvé un nouveau business : l’importation à bas coût d’aliments toxiques.

La Camorra importe de la nourriture pleine de pesticides et de bactéries. Elle fait aussi des affaires avec du pain toxique.

C’est J. Patrick Truhn, consul général américain à Naples, qui transmet ces informations dans un télégramme diplomatique classé confidentiel daté du 6 juin 2008, et rendu public par Wikileaks.

Selon l’ancien consul américain de Naples, en Campanie, la Camorra s’enrichit par des “importations à bas coût”, de produits infestés de pesticides ou de bactéries. Truhn parle notamment de pommes remplies de pesticides en provenance de la Moldavie, et de sel importé du Maroc contaminé par l’escherichia coli, une bactérie intestinale. Pour tromper les consommateurs, la Camorra colle sur chaque produit une étiquette “made in Campanie”.

“Parfaite radiographie”

Mais ce n’est pas tout. Le diplomate cite aussi le commandant local des carabiniers, et révèle que “deux tiers” des boulangeries de la région seraient contrôlées par la mafia napolitaine. Dans ces boulangeries, le pain serait fabriqué “avec des matériaux toxiques”. À Caserte (Campanie), écrit encore le diplomate “les usines illégales qui font de la mozzarella utilisent du lait en poudre bolivien”.

Des informations, selon le quotidien Il Messaggero, confirmées par don Luigi Merola, le curé de Forcella (quartier dominé par la Camorra à Naples) connu pour ses prises de position contre la mafia napolitaine. Selon lui, “le rapport du consul est la parfaite radiographie de ce qui se passe dans le Sud”. Le procureur de Naples, Giovandomenico Lepore, a au contraire opposé un démenti formel :

Aucune enquête en cours ne démontre que les clans camorristes aient importé des pommes infestées de pesticides depuis la Moldavie, et du sel contaminé en provenance du Maroc.

Le précédent du lait

Ce n’est pas la première fois que la Camorra s’enrichit tout en risquant d’empoisonner des milliers de personnes. En 2008, un scandale éclate autour du produit phare de la région de Naples : la mozzarella di buffala. Les terres des élevages de buffles qui produisent le lait utilisé pour fabriquer le précieux fromage ont été contaminées. La Camorra y a enterré et incinéré des montagnes de déchets toxiques venus du Nord de l’Italie. Une réaction en chaîne s’en suit : les sols contiennent des taux trop élevés de dioxines, contaminent les buffles et le lait qu’ils produisent. Ce même lait est utilisé pour fabriquer la mozzarella di buffala, contaminée à son tour, et risque d’empoisonner des milliers de consommateurs.

Une opération “lait propre” est alors supervisée par une unité antimafia napolitaine. 14,4% des 173 fromageries des provinces de Naples, Caserte et Avellino se révèlent non conformes au seuil de dioxine autorisé par l’Union européenne. 600 élevages sont mis en quarantaines, et 109 personnes sont mises en examen pour “empoisonnement de substances alimentaires et commerce de produits périmés”.  Certains élevages et fromageries, en réalité, étaient entièrement aux mains des camorristes : les chefs de la mafia locale payaient des subventions aux paysans pour qu’ils acceptent de recevoir des déchets dans leurs champs.

Le 27 mars 2008, la  Commission Européenne exprime ses doutes quant aux mesures prises par les autorités italiennes pour gérer la crise, et conseille aux pays européens de suspendre les importations de mozzarella di buffala. Le ministre de l’agriculture français de l’époque, Michel Barnier, demande aux professionnels de consigner les produits dans l’attente d’en savoir plus. L’ancien ministre italien de l’Agriculture, Paolo De Castro, choisit de répondre en apparaissant à la télévision en train de déguster le fromage napolitain. Mais en vain. Plus personne n’achète la mozzarella qui faisait le succès de la Campanie. Suite au scandale médiatique, des dizaines de producteurs ont vu leurs ventes chuter considérablement. En tout, 30 millions d’euros de perte en deux mois. Déjà en 2003 à Caserte, 6000 vaches avaient dû être abattues à cause du taux de dioxine présent dans leur lait destiné à produire de la mozzarella.

Des millions d’euros en jeu

Les importations à bas coûts d’aliments étrangers revendus “made in Italy”, c’est une stratégie que la Camorra avait aussi expérimentée dans le passé. En 2006, la chaîne télévisée italienne Rai Tre diffuse un documentaire intitulé Le pays du porc (Il paese del maiale), sur la contrefaçon alimentaire. À Castelnuovo Rangone, dans la province de Modène (Nord), un juge découvre que dans plusieurs usines de charcuterie, les jambons de provenance étrangère sont revendus comme des produits typiques italiens, parfois même avec la mention “jambon de Parme”, et donc beaucoup plus chers. Or, ces entreprises de charcuteries sont contrôlées, de manière indirecte, par un clan de la Camorra, les Casalesi.

Sur le marché des produits contaminés, on peut même remonter à 1999, lorsque une enquête sur la mort suspecte de deux hommes près d’une laiterie à Naples permet de découvrir une autre fraude de la Camorra : 16.000 tonnes de marchandises toxiques ont été revendues à des entreprises belges, allemandes et françaises, pour une valeur de 100 millions d’euros. À savoir : du faux jambon de Parme, de la mozzarella contaminée à la dioxine, mais aussi du beurre frelaté ne contenant que peu de lait mais du suif de boeuf et des hydrocarbures. Du beurre acheté par des grandes entreprises françaises de l’agro-alimentaire : Lactalis (avec la fameuse marque Président), Entremont, Sodiaal (Yoplait et Candia), les fromageries Bel (La Vache qui rit)… Ces sociétés prétendent être les victimes dans cette affaire. En revanche, le tribunal de Créteil met en examen les dirigeants de Sodepral et Fléchard, deux entreprises française d’importation, pour “escroquerie en bande organisée” et “fraude sur les qualités substantielles”.

La Camorra a-t-elle encore l’intension de diversifier son business des aliments contaminés? Peut-être qu’un autre télégramme nous le dira. WikiLeaks aurait en sa possession 19 câbles du Consulat américain de Naples, selon les estimations du quotidien allemand Der Spiegel. Pour l’instant, seul cinq d’entre eux ont été publié.

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Crédits photo: Flickr CC Maria Keays avpiedra, avpiedra, wallyg

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