La constitution islandaise, c’est pas l’irruption

Le 12 octobre 2011

La révision constitutionnelle entamée en Islande avec le concours de la population n'a pas été à la hauteur des attentes les plus enthousiastes. Mobilisation marginale, vices de forme: on est encore loin de la "démocratie de demain".

Maniés avec talent, les mots peuvent donner l’illusion d’une réalité. Exploités par des experts, ils sont le moyen de faire prendre les vessies d’une démocratie qui se cherche pour les lanternes d’un processus révolutionnaire sans précédent. Ainsi, décrite comme une « e-révolution citoyenne », la révision constitutionnelle entamée il y a quelques mois en Islande avec le concours de la population de l’île a généré les descriptifs extatiques et les commentaires fébriles de nombreux médias et d’une partie de la blogosphère engagée.

Un processus inédit qui pourrait préfigurer la démocratie de demain,Télérama , 23 juin 2011.

Evènement peut-être plus considérable que la nuit du 4 août 1789,Parisseveille.info, décembre 2010.

25 citoyens ordinaires élus pour rédiger une nouvelle constitution,Cyberpresse.ca, 30 novembre 2010.

Révolution citoyenne en Islande, LePoint.fr, 4 octobre 2011.

Fin juillet, les 25 membres du Conseil Constitutionnel ont remis leurs 9 chapitres de recommandations au Parlement (Althing), qui devrait les examiner dans le courant du mois. La participation et l’implication autochtones ont-elles été à la hauteur de l’effervescence constitutionnelle dépeinte ? Les constituants désignés par leurs pairs portaient-ils les équivalents locaux de nos bérets et baguettes ? Les serveurs informatiques des Facebook, Twitter, Youtube et autre Flickr ont-ils pu accueillir les vagues incessantes de propositions adressées jour et nuit par des dizaines de milliers d’islandais enthousiastes attendant que les 25 “sages” exploitent leurs souhaits de changer leur île, avant peut-être de révolutionner le monde ?

Une “mobilisation interstellaire” de 1% de la population

Qu’on en juge : d’abord, le scrutin mis en place pour désigner les membres de l’Assemblée Constituante a recueilli moins de 36% de votants ; jamais le désintérêt populaire ne s’était manifesté avec une telle ferveur lors des élections passées. Pour Ragnhildur Helgadóttir, professeur de droit de l’Université de Reykjavik, cette faible participation “pose des problèmes éthiques”. Mais pour les commentateurs impartiaux de “l’évènement Islandais”, la désaffection massive des électeurs n’entament ni l’importance planétaire, voire inter-stellaire de la démarche, ni son caractère démocratique.

Avocats, journalistes, universitaires, dirigeants d’entreprise… En fait de “citoyens ordinaires”, la plupart des 25 membres de l’Assemblée Constituante sont des personnalités dont la notoriété et/ou les responsabilités publiques présentes ou passées sont avérées. Des personnalités qui après avoir été élues, ont dû être “désignées” par le Parlement, suite à l’annulation de l’élection par la Cour Suprême pour quelques vices de forme susceptibles de nuire à la confidentialité du scrutin. Un choix politique que l’enseignante en droit n’estime pas “idéal”. En définitive, les 25 constituants “ont été choisis par l’Althing” et non par le peuple ; pour cette raison, elle considère le scrutin comme non démocratique.

Réunion du Þjóðfundur, l'assemblée populaire chargée de rédiger une nouvelle constitution pour l'Islande.

Enfin, ramenés à la population de l’île (318.000), les 3 600 commentaires et 370 suggestions totalisés en l’espace d’environ 3 mois, tous réseaux sociaux confondus, témoignent d’un “réel engouement” qui a respectivement dépassé… 1,1% et 0,1%. Cette formidable démocratie participative exploitant le Net plus ultra de la modernité virtuelle aurait-elle enregistré quelques beugues ?

“C’est la démocratie de demain, nom d’une source d’eau chaude !” hurleront certains journalistes et prolixes rédacteurs de la blogosphère lestés du discernement d’un troupeau de moutons confondant les retombées cendrées d’Eyjafjallajökull avec l’impressionnante brume automnale des Fjords de l’Est. La mise en scène d’une e-démocratie conduite par les notables et les élites de la nation aurait-elle eu un écho comparable ?

Une expérience… à confirmer

Reste que si le projet présenté est encore imparfait, beaucoup se réjouissent de son existence1. Et en définitive, comme le fait remarquer Kjartan Jónsson, candidat malheureux à l’élection de l’Assemblée Constituante en novembre 2010, peu importe que des “têtes d’affiche” aient été désignées pour revoir la constitution, car “ils ont su aborder les changements que beaucoup voulaient voir mis en place” et ce malgré les tentatives du Parti de l’Indépendance (formation conservatrice au pouvoir pendant près d’un demi-siècle) de nuire au bon déroulement du scrutin.

Alors processus révolutionnaire ou pas, suffrage 100% citoyen ou non, il faut souhaiter que les profonds changements attendus par les Islandais et auxquels s’opposent une petite mais puissante oligarchie insulaire, puissent aboutir.

En revanche, n’en déplaisent à ceux qui, pour des motivations mystérieuses (prosélytisme ? marketing ? propagande ?), ont souhaité travestir la réalité plutôt que de décrypter l’Histoire, les transformations nécessaires engagées en Islande n’en sont encore qu’à leurs balbutiements. Les présentations euphoriques, les dithyrambes enflammées, les altérations enthousiastes de la situation de l’île n’y changeront rien.


Article également publié sur le blog Vivre en Islande

Retrouvez l’ensemble de nos articles au sujet de l’Islande, ainsi que l’interview par Nonfiction.fr de Dominique Cardon.

Photos FlickR Paternité Stjórnlagaráð ; PaternitéPartage selon les Conditions Initiales briansuda.

  1. Selon un sondage publié en septembre dernier, ils seraient 75% à souhaiter que la nouvelle constitution soit soumise à référendum populaire. []

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