La loi du chiffre selon Google

Le 3 novembre 2011

Les rapports de force entretenus par Google tiennent aux versions de l'algorithme de son moteur de recherche. La dernière en date, nommée Panda, n'échappe pas à la règle. Illustration à travers le constat d'un libraire en ligne.

Bernard Strainchamps, fondateur de la librairie en ligne Bibliosurf, a été comme d’autres sites, affecté par la mise en place du nouvel algorithme de Google, nommé Panda. Mis en place début août dans le but de rendre les résultats du moteur de recherche plus pertinents pour l’internaute, il a aussi pénalisé des sites de vente en ligne.

À partir de quel moment avez-vous constaté que vos pages disparaissaient des premiers résultats de Google ? Lorsque vous les avez contactés, quelle a été leur réponse ?

Dès le 15 août, j’ai constaté un retour différent de Google. J’ai écrit alors un billet sur mon blog intitulé ironiquement Panda n’est-il pas un animal en voie de disparition ? Comme 70% du chiffre d’affaires est encore généré pas des visiteurs occasionnels qui effectuent une recherche sur Google, un bon référencement est vital pour la librairie Bibliosurf. Je les ai contactés et ils m’ont répondu via mon compte webmaster tools que Bibliosurf n’était pas rentré dans des critères déclassifiants [NDLR : n’était pas une ferme de contenus] mais que l’algorithme évoluait et que cela pouvait entraîner des changements dans le classement.

Dans les faits, les statistiques vous ont montré qu’il y avait une baisse de la fréquentation. Jusqu’à quel point ?

Mon hébergeur a changé son logiciel de statistiques et Bibliosurf est passé d’une version du logiciel SPIP de 1.9 à 2.1. Aussi, c’est difficile de comparer des chiffres qui n’ont pas été produits dans les mêmes conditions. J’estime néanmoins une chute de fréquentation de 30% liée à Google Panda et une chute des commandes de 20% en septembre. Je n’ai pas encore les chiffres d’octobre mais Google Panda continue son travail de sape. La chute pourrait être de 40% ce mois.

Vous procédez à votre propre référencement. Avez-vous fait des modifications par la suite pour améliorer vos résultats ?

Sur Bibliosurf, je fais tout tout seul. Du code aux cartons en passant par les interviews des auteurs et l’animation du site. Je ne suis donc pas un spécialiste du référencement. Par contre, je sais que Bibliosurf a toujours bénéficié d’un très bon référencement sur ce moteur de recherche. Une étude du MOTIF [PDF] le montrait déjà en octobre 2010. Vers la mi septembre quand j’ai constaté la baisse drastique du nombre des commandes, j’ai effectué un test avec des titres en vue de la rentrée littéraire pour savoir ce qu’il en était de mes concurrents sur Google. J’ai alors constaté à mon grand étonnement que toutes les librairies en ligne étaient touchées sauf la Fnac qui caracolait dans les premières positions des requêtes dans 7 cas sur 10. J’ai regardé comment la Fnac présentait les notices.

On travaille tous avec le contenu dupliqué produit par les éditeurs. Aussi, il n’y a pas de raison qu’une librairie soit privilégiée. Lors de mon analyse, j’ai constaté que la Fnac avait remonté le contenu produit en interne : les commentaires des libraires et des lecteurs. J’ai donc fait de même. Un quart de Bibliosurf est du contenu enrichi : interviews, chroniques des lecteurs et revue de presse. A ce jour, ce changement n’a produit aucun effet.

Selon vous, qu’est ce que peut changer Google Panda à court et long terme pour les librairies telles que la votre et pour celles comme Amazon et la Fnac ?

Le filtre Panda qui chasse le contenu dupliqué est sans doute une bonne chose pour les internautes. Dans les premiers résultats des requêtes, il ne sert à rien que l’internaute ait accès dix fois à la même notice produite par les éditeurs.
Google met d’ailleurs en avant le site de l’éditeur à présent. Mais Google Panda est aussi une machine à gagner de l’argent qui va forcer l’e-commerce à acheter du mot clé payant. Cette semaine, j’ai effectué un test avec 100 euros investis dans les termes “ebook” et “livre numérique”. Cela a bien sûr redirigé des internautes vers ma nouvelle librairie de livres numériques mais sans générer une hausse du chiffre d’affaire.

Il y a un temps, Internet était un réseau de réseaux. Il a tendance à devenir le réseau de quelques multinationales qui prennent toute la place. Présent sur le web depuis 1997, et sur le web littéraire depuis 1999, je bénéficie aujourd’hui d’une certaine sympathie des bibliothécaires (qui est mon précédent métier), des libraires et des amateurs de littérature, en particulier de polar. Mais cette estime ne se traduit pas par un grand volume de ventes. Il y a les fidèles qui ne veulent pas lâcher leurs libraires et ceux qui sont accros à Amazon.
J’espérais beaucoup du numérique mais l’arrivée de lecteurs (reader ou tablette) fermés et liés à une librairie unique type Kindle ne laisse entrevoir que de sombres perspectives.

Non contentes de bénéficier d’une force de frappe financière, ces multinationales délocalisent leurs sièges au Luxembourg pour bénéficier d’une TVA réduite et ainsi vendre des livres subventionnés par l’État empochant au passage un bonus fiscal.
Il y a trois jours, j’ai reçu un aimable tweet qui disait que je n’avais rien compris, qu’il fallait s’adapter ou mourir. En plus de produire 300 interviews en 5 ans, j’ai tenté de nombreuses pistes pour créer un catalogue à taille humaine mouvant qui se configure en fonction des consultations, des avis des lecteurs, de ce qui se dit sur le net, et bien sûr sans oublier ma subjectivité. J’ai par ailleurs innové dans la structuration des données avec une indexation très riche qui utilise des formats dates et la géolocalisation. Je crois que le livre papier ou dématérialisé a besoin de médiateurs : journalistes, libraires, blogueurs, réseaux de lecteurs… Et surtout que la religion de l’algorithme a ses limites.


Illustration Flickr PaternitéPas d'utilisation commercialePartage selon les Conditions Initiales Belhor_

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Google gentiment au tribunal de commerce
Google abuse en silence

Illustration de Une Marion Boucharlat

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