Les cyber-cerbères de la fachosphère

Le 16 mai 2011

L'extrême-droite a fait d'Internet son nouveau cheval de bataille. Les militants antifascistes ripostent aussi en ligne. Diffusion d'informations et surveillance sont leurs nouvelles armes.

Alexandre Gabriac et Jean-Baptiste Cordier étaient tous les deux candidats FN aux cantonales. Tous les deux ont été photographiés en train de faire des saluts nazis (pour le premier) ou entourés de personnes au bras bien tendu (pour le second). L’affaire Alexandre Gabriac a été révélée par lenouvelobs.com le 29 mars. Elle a abouti à son exclusion du FN, décision prise par Marine Le Pen contre l’avis de son père et de Bruno Gollnish. Les photos de Jean-Baptiste Cordier ont, elles, été diffusées sur le blog de deux militants antifascistes, fafwatch.

Sorte de chasseurs de skins modernes, certains groupes antifascistes ont investi Internet pour lutter contre les mouvements d’extrême droite. Et fafwatch, avec ses révélations sur le candidat FN, est l’un des plus connus. Sur le modèle de copwatch qui surveille les agissements de la police, le blog entend diffuser des informations compromettantes pour les “fafs”, les militants d’extrême-droite. Plusieurs sites du genre existent aux États-Unis ou encore en Russie [ru] où les mouvements néo-nazi sont plus nombreux qu’en Europe de l’Ouest.

Geek antifasciste

“Fafwatch est une vitrine, presque un loisir” explique à OWNI l’un des deux tenanciers du blog – appelons-le Arnaud – qui préfère rester anonyme et flou pour éviter d’être identifié. Comme beaucoup, il prend des précautions avant d’accepter de nous parler. Plusieurs n’ont pas donné suite à nos demandes d’entretien.

Arnaud se dit geek et militant antifasciste depuis de nombreuses années. Fafwatch réunit ces deux pratiques : il observe les activités de l’extrême-droite en ligne mais aussi IRL1, et diffuse parfois les informations récoltées. Arnaud dit n’avoir recours qu’à des méthodes légales. Pas de piratages donc. Son principal terrain d’observation est le plus utilisé des réseaux sociaux, Facebook.

À la manière des quatre antifa qui ont créé un faux profil pour pénétrer les sphères d’extrême-droite, fafwatch investit largement le réseau social pour surveiller les militants d’extrême-droite :

On crée de faux comptes et on s’arrange pour qu’ils ressemblent à des profils de fafs. On like des pages proches de l’extrême-droite. Comme ça, on peut entrer dans leurs réseaux.

Une partie finit sur leur blog. “Une partie seulement” précise Arnaud qui dit refuser de diffuser des images très compromettantes pour des personnes visiblement mineures. “Facebook, c’est la jungle pour les jeunes. À se demander si ce n’est pas une mode” dit-il, affligé par le nombre de jeunes entre 15 et 20 ans qui n’hésitent pas à porter les insignes nazis.

Fafwatch ne fait pourtant pas partie de la stratégie de fond de lutte antifasciste selon Arnaud.

Fafwatch sert à rappeler aux militants d’extrême-droite que les antifascistes les regardent. Il sert aussi à alerter certains groupes antifa de ce qui se passe dans leur ville.

En publiant un billet sur un bar de Bourges, fréquenté selon fafwatch par des identitaires, le blog incite les militants antifa de Bourges à se pencher sur la question. “Nous n’avions aucun contact avec les groupes antifa du coin, donc on a utilisé le blog pour les alerter” explique Arnaud. Fafwatch n’est pas vraiment l’oeuvre de franc-tireurs, il est géré en concertation avec des antifa de la région et d’ailleurs.

Cyber-guérilla de l’information

Internet est le nouvel avatar de la rue que les militants se disputent. Novofuck.info, instrument d’“activisme virtuel”, se veut le pendant antifasciste de l’agence de presse du Bloc Identaire novopress. Le site diffuse des informations sur les militants d’extrême-droite bordelais et sur les actions des militants locaux antifascites.

Autre initiative locale, Désouchons la désouchière s’est créé en opposition à La Désouchière, une communauté de “Français de souche” que des identitaires ont créée dans le Morvan. Désouchons la Découchière a révélé son emplacement précis et croit connaître les desseins plus ou moins avoués des néo-ruraux identitaires. Entre autre : noyauter le monde associatif local, installer une communauté suffisamment nombreuse pour peser dans le jeu électoral.

Le web antifa s’appuie aussi sur les sites des organisations antifa classiques, dont le réseau No Passaran/SCALP (Section Carrément Anti-Le Pen). Reflexes et selon les régions indymedia informent les lecteurs des activités de l’extrême-droite et des antifascistes.

La lutte entre l’extrême droite et les militants antifascistes dépasse parfois la diffusion d’information. Deux sites antifa ont été piratés par un militant d’extrême-droite, que fafwatch affirme avoir démasqué. Un blog antifasciste est devenu “un site anti-antifa” (soit un site d’extrême-droite) après piratage. De même que le site du SCALP de Besançon, piraté et défacé. Selon offensive libertaire, “le thème avait été changé par un fond de croix celtiques et quelques article modifiés avec des phrases injurieuses”. Pour Arnaud, le piratage des sites liés à l’extrême-droite n’est pas très utile :

Ca permet de se faire plaisir, mais il n’y a aucun message politique fort.

Il affirme ne procéder qu’à une surveillance approfondie, quitte à mettre “le nez dans le code” pour en savoir plus sur un site ou un individu. Il alerte ensuite les hébergeurs des sites pour qu’ils soient retirés. Une de leur cible favorite : les sites des Nationalistes Autonomes, des groupes de militants identitaires informels.

On a fait sauter des dizaines de leurs sites, y compris certains qui étaient hébergés au Mexique. On a l’habitude maintenant.

Ce qui n’est pas diffusé sur fafwatch vient nourrir leur base de données. Arnaud nous explique connaître l’identité des webmasters de plusieurs sites d’extrême-droite, notamment un site clairement néo-nazi dont ils surveillent les agissements. Sur d’autres sites généralistes, la présence de l’extrême-droite semble plus difficile à combattre en partie parce qu’elle ne tombe pas sous le coup de la loi. Notamment sur le forum de jeuxvidéos.com, terrain de jeu de certains lecteurs prosélytes de fdesouches. Arnaud soupire : “C’est un problème, mais on ne peut pas faire grand chose”.


Crédits Photo FlickR by-nc-nd *FataNera*, by antmoose


Retrouvez notre dossier sur la fachosphère :

Les familles d’extrême-droite sur Internet

Internet: l’immigration réussie de l’extrême droite

FN-Fdesouche: les liaisons heureuses

Crédits de Une : Marion Boucharlat et François Prosper

  1. In Real Life soit hors d’Internet et des réseaux []

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