Internet, le paradis de la diffamation?

Le 31 mai 2011

La diffamation, les journalistes connaissent et savent (normalement) s'en prémunir. Mais le web et les médias sociaux changent la donne et pourraient réserver quelques mauvaises surprises.

Les réseaux sociaux, paradis de la diffamation ? Si l’on en croit une étude évoquée dans un article publié lundi 9 mai par l’université de Montréal, 15% des décisions judiciaires liées au web 2.0 rendues au Canada ou aux États-Unis concernent la diffamation. Un chiffre qui monterait à 49% pour la France !

Et les journalistes dans tout cela ? En un clic, voilà votre article diffusé à un public bien plus large que vos lecteurs habituels, transmis de comptes Facebook en profils Twitter et se répand à travers le monde et les supports. Mais imaginons un instant que, tout bon professionnel que vous êtes, vous laissiez passer ces quelques lignes maladroites, cette petite citation pernicieuse qui pourraient bien se transformer en jolie petite diffamation devant un tribunal ? Que se passerait-il ?

Car s’il est facile de retirer un article ou une phrase d’un site, comment faire lorsqu’il a été repris, échangé, s’est multiplié un peu partout grâce à Facebook et Twitter et continue d’être consultable sur des blogs ?

C’est la question sur laquelle nous nous sommes penchés avec Tris, juriste et blogueuse sur www.crise-de-foi.com et qui a signé, notamment, un très intéressant billet sur les risques légaux des “tweets-clash”.

Selon une étude canadienne, 15% des décisions de justice américaines concernant le web 2.0 portent sur la diffamation

Imaginons un site média professionnel publiant un contenu tombant sous le coup de la diffamation, retirant celui-ci mais qu’il reste toujours consultable, les journalistes et éditeurs sont-ils condamnables alors qu’ils n’ont pas la possibilité technique de supprimer ce contenu consultable ailleurs ?

Il convient déjà de qualifier et de définir la diffamation, c’est ce que j’avais fait dans mon précédent article sur les “tweetclash”.

Si une information est qualifiée de diffamante par un juge, si elle a été énoncée par un journaliste, le journaliste en lui-même n’est pas responsable mais l’organe auquel il appartient l’est, au regard de l’article 1384 du Code Civil, sur la responsabilité des employeurs du fait de leurs salariés. Donc le journaliste en lui-même est considéré comme irresponsable, sauf à ce que l’organe auquel il appartient entame une action récursoire. Plus communément, on dit que le patron se retourne contre son salarié. C’est rare mais cela arrive.

Quant à l’organe de presse, qu’il s’agisse d’une presse traditionnelle (papier) ou d’un nouveau média (type Mediapart, Numérama, Rue89 & co), on leur applique la loi de 1881 sur la presse, qui a été un peu adaptée par la LCEN de 2004. La personne s’estimant diffamée peut alors demander un droit de réponse. Si la personne l’obtient et en fait usage, elle ne peut alors pas se retourner contre l’organe de presse : le litige s’arrête ici.

Si l’organe de presse est condamné par un magistrat, il doit retirer l’information. La problématique va devenir bien épineuse si elle a été dupliquée. A ce moment-là, ce n’est plus l’organe de presse qui est responsable, je vous rappelle qu’on ne peut pas être condamné deux fois pour la même chose, mais les éditeurs qui ont dupliqué le contenu litigieux.

Auquel cas, la personne s’estimant diffamée doit se retourner contre les éditeurs qui ont dupliqué l’information diffamante et qui ne l’ont pas retiré après jugement ni publié le droit de réponse. Exemple concret : l’information litigieuse est entièrement copiée sur un blog sur lequel l’organe de presse à l’origine de l’information, n’a aucune prise, c’est la personne qui tient le blog qui est responsable, ni l’organe de presse ni l’hébergeur du blog.

C’est typiquement une chaîne de responsabilité :

En clair :

  • La personne ayant obtenu un jugement estimant qu’il y a eu diffamation peut se retourner contre l’organe de presse à l’origine de l’information litigieuse et demander des dommages et intérêts
  • La personne peut ensuite se retourner contre un éditeur de contenu qui aurait dupliqué l’information
  • Si l’éditeur du contenu dupliqué ne peut ou ne veut pas supprimer le contenu litigieux, la personne diffamée se retourne alors contre l’hébergeur du contenu
  • Si l’hébergeur ne veut pas non plus supprimer le contenu litigieux, la personne peut également se retourner contre l’hébergeur
  • L’organe de presse peut se retourner contre le journaliste à l’origine de l’information diffamante via une action récursoire
  • L’hébergeur peut se retourner contre l’éditeur de contenu si ce dernier persiste à remettre l’information litigieuse toujours via l’action récursoire

Qui a dit que le droit était compliqué ?

Il faut vérifier les liens que l’on partage. Une statistique avait démontré qu’une bonne partie des personnes qui partageaient des liens ne prenaient pas la peine de les vérifier ni de lire ce qu’ils retweetaient

Si l’info continue de circuler, la personne mise en cause peut-elle se retourner contre Facebook ou Twitter ?

Facebook et Twitter se contentent de dupliquer un lien vers une page, pas de dupliquer le contenu en lui-même. Quand on fait partager un lien sur Facebook, si la page a été supprimée, les personnes qui y sont arrivées via Facebook n’y ont pas accès. Même chose pour Twitter. On tweete un lien, pas le contenu du lien, Facebook et Twitter n’ont pas de responsabilité.

La seule responsabilité éventuelle pourrait être celle de Facebook si la personne a procédé à un copier-coller du contenu litigieux sur sa propre page, en écrivant un article par exemple. Auquel cas, Facebook reste un hébergeur et ne pourra voir sa responsabilité mise en cause que si l’éditeur n’a pas supprimé le contenu malgré l’avertissement qui lui a été notifié.

La question ne se pose évidemment pas pour Twitter où seuls les tweets litigieux peuvent faire l’objet d’une suppression et la personne émettant des messages litigieux peut voir son compte suspendu voire supprimé ainsi que cela a été le cas dans l’affaire Mixbeat V. Maître Eolas, le premier ayant vu son compte Twitter momentanément suspendu grâce à un report massif en tant que spam, du fait qu’il avait dévoilé l’identité supposée réelle de Maître Eolas. L’auto-régulation des internautes n’est donc pas une légende urbaine et cet exemple en est une très belle illustration.

L’information est de plus en plus facile à propager, à partager, mais cela ne veut pas pour autant dire que l’on ne doit pas vérifier les liens que l’on partage. Ainsi une statistique concernant Twitter avait démontré qu’une bonne partie des personnes qui partageaient des liens ne prenaient pas la peine de les vérifier ni de lire ce qu’ils retweetaient.

Les journalistes ne sont également pas à l’abri d’un impair et la volonté affichée de certains organes de chercher à tout prix le « scoop », le « buzz » fait qu’ils ont tendance à prendre certaines informations sans s’assurer de leur véracité. C’est dommage et cela ne donne pas bonne presse justement à la presse numérique.

Quelles sont les conditions d’un droit de réponse en ligne ?

Les conditions de mise en application du droit de réponse en ligne sont les mêmes que celles du droit de réponse de la presse traditionnelle.

Si nous prenons l’exemple d’une personne à qui l’on aurait fait tenir des propos qu’elle n’aurait pas tenu. Exemple : Machin révèle tout sur tel sujet ! Exclusif !

Or le dit Machin n’est pas au courant. S’il veut exercer un droit de réponse, il lui suffit de prendre contact avec le rédacteur en chef de la publication qui aurait édité les propos en question et de lui indiquer qu’il souhaite exercer son droit de réponse en vertu de la lecture combinée de la loi de 1881 sur la liberté de la presse et la fameuse LCEN de 2004. Dans la mesure où les éditeurs de presse sont dans l’obligation de tenir un “ours numérique”1. Si le rédacteur en chef ne souhaite pas laisser la personne exercer son droit de réponse, cette dernière peut alors introduire une action en justice.


Article initialement publié sur le blog de Erwann Gaucher Cross-Media Consulting

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  1. un ours numérique est l’emplacement d’une publication indiquant les mentions obligatoires suivantes : l’éditeur de la publication, le directeur de publication, le nom et adresse de l’imprimeur, le dépôt légal, l’ISSN. Sont aussi souvent mentionnés les noms des rédacteurs et des collaborateurs de la publication., facilement accessible, ce type d’information se trouve rapidement. source []

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