Le lobby de la sécurité privée incendié

Le 1 mai 2012

Un cadeau au lobby de la sécurité privée, en échange de sa participation plus active à la "co-production" de la sécurité intérieure. Voilà comment un groupement de professionnels de la sécurité incendie juge une circulaire qui permet le contournement de la loi de 83. Des notes inédites, obtenues via la Cada, montrent le désaccord de deux préfets successifs à la tête de la Direction de la sécurité civile.

Le problème, c’est le désengagement de l’État dans le domaine de la sécurité. L’État doit satisfaire les demandes des gens à qui il demande des services.

Et les gens en question, pour David Balme, président du Groupement des professionnels des Services de Sécurité Incendie et d’Assistance à Personnes (G-SSIAP), ce sont les gros syndicats de la sécurité privée, l’USP et le SNES. Il en veut pour preuve les documents qu’il a obtenu en passant par la trop méconnue commission d’accès aux documents administratifs (Cada). L’enjeu : la modification de la loi de 1983 qui régit la sécurité privée, officiellement adoubée en 2008 par Nicolas Sarkozy avec la notion de “coproduction de la sécurité”. Plus prosaïquement, l’État délègue de plus en plus au privé les missions de sécurité parce que ça coûte moins cher : entre un agent privé et un policier ou un gendarme, le prix est divisé par cinq (salaire mais aussi formation et retraite). Ce texte fondateur a posé un principe : les sociétés de gardiennage ne peuvent pas faire de sécurité incendie.

Le délégué interministériel à la sécurité privé (DISP), Jean-Louis Blanchou, ne s’est pas caché que la modification de la loi de 83, jugée désuète, fait partie de ses objectifs prioritaires, d’ici 2013 si les urnes ballotent en la faveur du gouvernement actuel. Deux points suscitent l’ire du G-SSIAP. Le premier, que la sécurité incendie fasse partie des activités relevant de la loi de 1983. L’organisation professionnelle défend là sa spécificité et donc son bout de gras. Dans les faits, des entreprises de sécurité privée ont déjà des activités de sécurité incendie et le député (PS) Jean-Jacques Urvoas avait interpellé le ministre sur ce point lors d’une question écrite en janvier 2011. La réponse du ministère de l’Intérieur avait été claire :

Conformément au deuxième alinéa, les entreprises chargées, soit d’une activité de surveillance et de gardiennage, soit d’une activité de transport de fonds et d’objets précieux, ne peuvent exercer d’autres activités telles que la sécurité incendie ou encore le nettoyage des locaux surveillés.

“Nous sommes contre l’intégration de la sécurité incendie dans la loi 83-629 car cela rendrait l’activité exclusive aux sociétés de sécurité privée, précise David Balme. Il serait alors, par exemple, impossible à un ancien pompier d’exercer dans l’incendie sans satisfaire aux obligations de la sécurité privée.” Dont la carte professionnelle, mise en place en 2009.

Second aspect mis en cause, la façon dont la DISP procède : en douce, et en s’asseyant sur l’opinion défavorable de deux préfets successifs à la tête de la direction de la sécurité civile, dont relèvent la sécurité incendie.

En octobre 2010, Jean-Louis Blanchou évoque lors d’une table ronde du SNES son intention d’aller dans ce sens, avec un décret qui serait voté à la fin du premier trimestre 2011. Une circulaire arrivera effectivement le 3 juin 2011, co-signée par Jean-Paul Kihl, le préfet à la tête de la direction de la sécurité civile (DSC). Pourtant, les notes internes récupérées par le G-SSIAP semble prouver que la DCS n’avait aucune envie d’apposer leur paraphe.

En janvier, Alain Perret, le prédécesseur de Jean-Paul Kihl, envoie une première note à Jean-Louis Blanchou, suite à une réunion de ses services avec la DISP et la direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ). Il y fait part de son mécontentement de ne pas avoir été mis au courant de l’existence d’un projet de circulaire et de son désaccord sur le fond :

Je souhaite relever que mes représentants n’ont été informées qu’en séance du projet de circulaire. [...] Ils n’ont été ni consultés, ni sur la rédaction qui aborde pourtant la question de la sécurité incendie, ni sur l’interprétation de l’article 2 de la loi n°83-629 du 12 juillet 1983. Par ailleurs, il est à souligner que cette circulaire présente certaines inexactitudes relatives à la sécurité incendie.

En conséquence, il ne me parait pas opportun de la diffuser.

Enfin, je ne partage pas votre analyse selon laquelle une même entreprise peut fournir des prestations de sécurité privée et de sécurité incendie.

Une réunion de concertation en avril ne permettra pas de concilier les points de vue. Jean-Paul Kihl s’adressera du coup directement au ministère de l’Intérieur :

Actuellement, le SNES et l’USP notamment, demandent de lever cette incompatibilité afin d’accroître leur champ d’action et proposer des agents plus polyvalents avec une compétence plus diffuse et moins spécifique du risque incendie. [...]

En ce qui concerne les sociétés de sécurité privée, il me semble qu’elles couvrent déjà des domaines très variés. À ma connaissance, les priorités à court terme concernant ces activités de sécurité privée sont :

- L’amélioration de la qualité des prestations fournies [...]

- la lutte contre les pratiques irrégulières faussant la concurrence (coût notamment),

- la sensibilisation de tous les acteurs et notamment des donneurs d’ordre quant au coût de la qualité [...]

Ces enjeux me paraissent suffisamment importants à mettre en Å“uvre pour ne pas envisager l’intégration de nouvelles compétences et de nouvelles problématiques liées à la sécurité incendie.

Le vendredi noir de la sécurité

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Avant ce vendredi, les entreprises de sécurité doivent déposer leur procédure d'agrément auprès du nouveau conseil ...

Théoriquement, “une même personne physique peut donc exercer ces deux activités, mais pas simultanément.” Théoriquement. La question est aussi de savoir dans quelle mesure des personnels plus polyvalents entraineront une dégradation de la qualité. Mais de fait, actuellement, le chantier est de professionnaliser encore la sécurité privée, qui est connu pour être un nids de mauvaises pratiques. Le tout jeune Conseil national des activités privées de sécurité (Cnaps), un bébé-lobby, est censé faire le nettoyage.

Les différentes personnes concernées ne sont montrées discrètes. Jean-Paul Kihl n’a pas souhaité réagir. Alain Perret et Jean-Louis Blanchou n’ont pas répondu. Le Snes nous a répondu “L’actualité c’est” suivi d’un communiqué de presse sur la cessation de paiement de Néo sécurité, le n°1 du secteur en France. Même topo du côté de l’USP : “nous n’avons pas souhaité réagir. Et l’affaire Néo Sécurité a occupé les équipes.”

Seule l’association nationale des métiers de la sécurité privée (ADMS), qui n’est pas visée par les documents, nous a fait part de son point de vue : “Ce qui peut être effectivement mal perçu c’est qu’un SSIAP soit affecté sur une mission de sécurité privée dans laquelle il ne mettrait pas en pratique ses connaissances, mais cela n’enlève pas les connaissances indispensables qu’il doit avoir dans le cadre d’une mission incendie. Cependant, il faut que les entreprises de sécurité privée donne le coefficient correspondant à cette spécificité, et que celui-ci soit prioritaire dans le cas où il aurait une autre mission que le SSIAP.

Si le SSIAP ne rentre pas dans le champ de la loi de 1983, les entreprises de sécurité privée seront amenées à ouvrir des entreprises dédiées uniquement aux missions incendie. Il me paraît indispensable de déterminer concrètement le statut de cette activité et le coefficient correspondant. D’autre part, il faut que les SSIAP soient soumis aux exigences de la carte professionnelle c’est-à-dire soumis également à une enquête morale. Il devient urgent de combler ce vide juridique.”


Photographies sous licences Creative Commons par Pedro Moura Pinheiro et Azety.fr via Flickr

Modifications le 3 mai à midi suite à des précisions de David Balme.

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