Journalisme : il faut bouger! (enfin un tout petit peu)

Le 13 juillet 2010

Nouveau venu sur la soucoupe, Erwann Gaucher revient sur un récent rapport sur la formation des journalistes et les critères de délivrance de la carte de presse. Les préconisations sont très décevantes selon lui.

Le gouvernement avait commandé un rapport sur la formation des journalistes et les critères de délivrance de la carte de presse. Denis Jeambar, Bruno Magliuoli et René Sylvestre l’ont remis… hélas !
Une malédiction planerait-elle sur les rapports commandés par les gouvernements ? Ceux à qui l’on demande d’apporter leur expertise sur un sujet qu’ils sont censés connaître sont-il condamnés à rendre des documents pour le moins décevants, pour ne pas dire pire ? Pour examiner ” les questions de formation aux métiers du journalisme “, le gouvernement avait réuni un trio censé savoir de quoi il allait parler : Denis Jeambar, ancien directeur de L’Express, René Sylvestre, fondateur du groupe L’Etudiant et Bruno Magliulo, inspecteur académique honoraire, auteur de nombreux rapport sur l’orientation.

Le résultat ? Découvrez-le par vous même sous ce billet, en le feuilletant ou en le téléchargeant. À peine plus de sept pages censées faire le tour de cette large question, et une préconisation tellement convenue qu’on la croirait sortie d’un autre rapport sur n’importe quel autre sujet : l’organisation d’une conférence des métiers du journalisme… Dommage que les “états généraux de la presse” aient déjà été utilisés, sinon, on y avait droit !

Sept heures de réflexion tous les deux ans pour répondre à tous les problèmes de la presse !

Pour trouver toutes les réponses aux nombreuses questions qui se posent dans un métier en pleine mutation, nos experts proposent donc une solution aussi révolutionnaire que prometteuse : une conférence biennale. Et si l’on décortique la proposition, on passe du sourire légèrement ironique à la consternation.
Un rapport préconise de changer les  critères de délivrance de la   carte de presse“En vérité, il serait plus judicieux d’en faire un événement biennal, deux années laissant un temps d’observation plus pertinent pour vérifier la réalité des changements dans la profession et engager des réformes profondes, validées par des périodes d’expérimentation” écrivent nos trois experts. Vous avez aimé la biennale des antiquaires ? Vous adorerez celle des métiers du journalisme, qui ne vont pas tarder à rejoindre les commodes Louis XVI au rang de merveilles anciennes et rares.
Et Denis Jeambar, René Sylvestre et Bruno Magliulo détaillent le programme de cette grande journée qui doit “se tenir à Paris (la maison de la Chimie nous semble bien adaptée), pour réunir les principaux acteurs ” [car on le sait bien, le vrai journalisme ne se fait qu'à Paris, pas dans ces centaines de journaux régionaux qui ont le mauvais goût d'être installés au-delà du périphérique]. Sept heures de conférences et de débats, rien que ça ! Sept heures tous les deux ans pour enfin réformer ce métier de journalisme et trouver la martingale qui permettra de mieux former les jeunes journalistes. Diantre, cela doit bien suffire.

La révolution des nouvelles technologies ? 1 h 15 de débats et c’est plié, bien sûr…

La preuve que les auteurs de ce précieux rapport ont pris la mesure de l’enjeu, ils prévoient de consacrer rien moins que 1 h 15 de débats sur “l’impact des nouvelles technologies sur différents métiers : secrétariat de rédaction, révision, maquette, photo”. Cela doit bien suffire pour comprendre ce qui arrive, trouver des solutions, inventer une nouvelle façon d’être journaliste et en organiser l’apprentissage non ? Au pire, on se revoit deux ans après, tout cela n’aura guère changé. Souvenez-vous de 2008, rien n’a bougé depuis !
Et n’attendez pas de révolution sur la forme de cette fameuse journée, il est bien entendu que tout cela conservera le bon vieux système de conférences données par deux ou trois personnes au bon peuple des journalistes avides de la bonne parole.
Visiblement, nos experts ont tout compris de la révolution qui secoue aujourd’hui les rédactions du monde entier, avec ses aspects participatifs et communautaires…

Une commission pour faire la part entre bon et mauvais journalisme

Pour faire bonne mesure, Denis Jeambar, René Sylvestre et Bruno Magliulo souhaitent également réformer la délivrance de la fameuse carte de presse. Doucement mais sûrement, ils introduisent la fameuse idée d’un contrôle des qualités professionnelles de celles et ceux qui y prétendent : “il nous paraît très important de revoir le processus de délivrance de la carte en exigeant une validation professionnelle qui ne se réduise pas à la question des revenus. Une commission de la carte repensée, renforcée, devenant en quelque sorte une commission des métiers du journalisme, ne devrait-elle pas servir aussi d’instance de médiation sur les pratique journalistiques ?” En clair : on change le nom de la commission (ça, c’est pour justifier le rapport) et on lui donne le pouvoir de trancher entre le bon et le mauvais journalisme.

Sur quels critères ? La-dessus, nos experts restent d’une discrétion prudente puisqu’il savent bien que c’est tout le problème. Qui peut juger d’une bonne ou d’une mauvais pratique journalistique ? Qui peut, dans l’affaire Woerth-Bettencourt, dire si l’équipe de Mediapart a fait ou non du bon journalisme ?

Quant au cÅ“ur du rapport qui leur a été commandé, la formation aux métiers du journalisme, Denis Jeambar, René Sylvestre et Bruno Magliulo font là encore preuve d’une invention et d’une capacité à prendre des positions nouvelles et radicales, quitte à fâcher : “Nous suggérons que la CNPEJ évolue dans le sens qui pourrait s’inspirer du “modèle CTI” [Commission du Titre d'Ingénieur, NDLR] pour devenir une institution plus représentative et disposant de larges pouvoirs”. Que de suggestions et de conditionnel ! Un fonctionnaire de Bercy proposant que le salaire du président de la République soit divisé par dix ne prendrait pas plus de précautions de style…

Un rapport qui ne dit rien sur par grand chose…

Voilà, c’est avec ce genre de rapport que le journalisme doit trouver un nouveau souffle. Alors que la presse française crève de ne pas innover, de mettre tellement de temps à s’adapter, à changer le rythme de ses process de travail, à comprendre un monde qui est en mutation perpétuelle, les experts expliquent qu’en se réunissant une journée tous les deux ans, on trouvera des solutions.

Rien sur la difficultés des médias à dégager les moyens de la recherche, du développement et de l’innovation qui pourraient pourtant leur permettre de reprendre la main sur les pure-players techniques.
Rien sur les nouvelles formes de web-journalisme qui émergent ici ou là et qui auraient tout à gagner à être mises en commun, discutées, explorées en profondeur.
Rien sur la difficulté d’accès aux documents publics qui permettraient aux journalistes français de se lancer plus efficacement dans le data-journalisme qui semble être une des attentes du public.
Rien sur les mutation profonde de consommation des médias que Facebook, Twitter et autres ont provoqué et qui ont pour conséquence de changer la façon de produire ces médias.
Rien sur pas grand chose quoi…

Télécharger le rapport [pdf]

Billet initialement publié sur Crossmedia sous le titre “Un rapport préconise de changer les critères de délivrance de la carte de presse”

Image CC Flickr orangeacid

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