Le bon parti Pirate

Le 30 mars 2012

Le Parti Pirate continue sa progression et entre dans la cour des grands. En Allemagne, le parti politique militant pour une société de l'information ouverte est sur le point de remporter des sièges dans de nombreux länder. Sa présence au parlement régional de Berlin n'est pas un accident. C'est le début d'une transformation politique.

Le Parti Pirate est “un facteur important” de la vie politique allemande. Cette déclaration ne vient pas d’un porte-parole de cette jeune formation politique née en Suède et qui a essaimé dans plusieurs pays. Mais de la chancelière Angela Merkel.

Elle réagissait à l’entrée dimanche dernier du Parti Pirate (PP) au Parlement de la Sarre, un petit État régional frontalier de la Lorraine. Les pirates affichent un score de 7,4%, ce qui en fait la quatrième force politique dans ce Land, devançant les Verts et les Libéraux du FPD, qui font partie de la coalition gouvernementale. Avec un piteux 1,2% ils sont même privés de sièges en Sarre.

A contrario, nos pirates partaient de… rien.

Berlin prend le parti des pirates

Berlin prend le parti des pirates

Contre les surveillances électroniques. Pour les libertés numériques. Pour la libre circulation des savoirs... Les Partis ...

Un coup d’éclat qui conforte celui de septembre dans la ville-État de Berlin : 9% des voix, 15 sièges sur 149. Mais ce nouveau beau score a  davantage surpris certains. La victoire du PP de cet automne “n’est pas si étonnante vue de Berlin, analysait OWNI. “Son programme est fondé sur des idéaux de libertés, de partage des connaissances et de démocratie participative chers à une partie importante de l’électorat local. Pour une ville peuplée de jeunes créatifs cosmopolites, dont une kyrielle d’artistes digitaux, graphistes et vidéastes en tous genres, ces idées ont rencontré les attentes d’une génération.”

On the road, IRL

Mais la Sarre n’a pas le même profil, c’est un tout petit État industriel : “Je croyais que les Pirates étaient un phénomène de grandes villes. Je suis un peu étonné de leur score en Sarre”, a expliqué à l’AFP le politologue de l’Université libre de Berlin, Nils Diederich. Des idées reçues qui indiffèrent les pirates qu’OWNI a contactés. À commencer par les gagnants :

Nous avons décidé de rencontrer les gens “offline” dans les zones provinciales de la Sarre. Nous avons présenté nos événements de la “tournée des pirates” dans les régions provinciales. Nous pensons que de nombreuses personnes comprennent notre message politique. Nous ne sommes plus le parti d’une seule bataille.

Si le cÅ“ur de cible, lié à ses origines, est celui des des “geeks”, son audience semble bien aller au-delà. Gefion Thürmer, membre du bureau national, renchérit :

Le PP est peut-être vu comme une formation urbaine par des observateurs superficiels, mais ce n’est certainement pas le cas. Nos centres d’intérêt, les droits fondamentaux, la participation citoyenne ou la transparence de l’État, sont aussi importants dans les zones urbaines que rurales. Ils touchent les gens dans toutes les couches de la société.

Le père du PP “impressionné”

Le Suédois Rick Falkvinge, qui a lancé le PP en 2005 avant de se mettre en retrait, analyse à l’aune de l’expérience dans son pays :

Je ne pense pas que ce soit si urbain, comme c’est un changement progressif et global qui met l’accent sur les citoyens en tant que force positive dans la société, d’une façon que les partis traditionnels ont délaissée. Après la victoire du PP suédois aux élections européennes1, les analystes politiques étaient dans l’embarras car aucun des clivages traditionnels ne s’appliquaient. Seuls deux phénomènes revenaient : les jeunes nous soutenaient beaucoup et nous avions des places fortes dans les universités, en particulier les universités de technologie. Ce qui signifie que nous avions beaucoup d’activistes dans les villes avec des universités et notre organisation était moins forte dans des zones industrielles.

Surpris n’est peut-être pas le mot juste mais je dois reconnaitre que je suis impressionné par la capacité opérative et politique du PP allemand, comment ils apprennent et s’adaptent vite.”

Le Parti Pirate fait chavirer Berlin

Le Parti Pirate fait chavirer Berlin

Le Parti Pirate allemand a fait parler de lui en obtenant 15 sièges au Parlement de Berlin. Il revendique une stratégie ...

Selon lui, Berlin, de par sa nature de ville progressiste, a constitué un terreau fertile dans leur essor. Sans compter l’impact symbolique d’une victoire dans la capitale.

“Ils ont pu étendre leurs propositions à d’autres sujets de société, poursuit Maxime Rouquet, le co-président du Parti Pirate français. Par exemple ils ont proposé la gratuité des transports à Berlin. C’est un des différents avenirs possibles pour les PP.”

En revanche, derrière l’hommage d’Angela Merkel, on sent poindre du mépris du côté des partis traditionnels. Ainsi le secrétaire général de la CDU Hermann Gröhe a rejeté le PP dans les limbes des partis protestataires, une façon de dire qu’il ne saurait être un parti de gouvernement sérieux :

Les jeunes hommes qui votent pour la première fois émettent de forts messages protestataires (…) Comment répondre à ces appels à plus de transparence et de participation en politique ?

Plus de 10 000 nouveaux adhérents

L’objectif est maintenant de conforter ces débuts fracassants – un record depuis la fondation de la République fédérale allemande, note Der Spiegel. Les tests électoraux vont vite venir et le PP se montre confiant, à l’image des sondages : si la Sarre s’est senti concerné par le programme du PP, le Schleswig-Holstein et la Rhénanie-du-Nord-Westphalie devrait en faire autant, conclut Gefion Thürmer. Elle brandit des chiffres flatteurs :

Depuis les premiers sondages à Berlin qui nous donnaient presque 5% et grâce à notre entrée dans  les deux parlements, nous avons gagné plus de 10 000 nouveaux adhérents. Ils ont besoin d’être intégrés, nous avons deux élections régionales encore cette année et il faut préparer le scrutin national de 2013. Nous sommes persuadés que nous pouvons remporter quelques sièges au Bundestag2.

Si le cas se présente, quelle coalition rejoindre ? La question n’est pas encore tranchée : “nos membres devront le décider, détaille Gefion Thürmer. Bien sûr, nous voulons faire avancer nos positions politiques et si, à long terme, c’est mieux de passer par une coalition, c’est quelque chose que nous envisagerons.”

Rick Falkvinge est confiant dans sa progéniture, au point de considérer l’entrée au Bundestag comme acquise :

Je suis persuadé que le PP allemand continuera d’avoir du succès à court terme. Une fois au Bundestag, il y aura d’autres défis. Mais à voir comment ils influent le jeu politique avec une honnêteté brute de décoffrage envers les gens qui les ont élus, mon sentiment est qu’ils vont continuer de grossir dans les décennies suivantes et rester une locomotive pour les autres PP.

Aux élections à venir en mai, le PP est crédité de 5% des intentions de vote au Schleswig-Holstein et de 6% en Rhénanie du Nord-Westphalie, en mai.

Rick Falkvinge, fondateur du Parti Pirate, en Suède en 2009

Si le développement de cette force politique nouvelle rappelle l’émergence des partis “Verts”, il s’agit d’éviter de suivre leur exemple en s’engluant dans des accords de coalition. Gefion Thürmer estime qu’ils sauront éviter cet écueil. Question de bons réflexes et d’époque aussi :

Les Verts ont vieilli et au lieu de garder en tête ce qui faisait leur spécificité, ils se sont institutionnalisés et ont adopté le comportement des autres, ils n’osent plus suivre de nouvelles idées ou élaborer des concepts inédits.

Le système du PP, fondé sur une démocratie qui vient d’en bas et où toutes les décisions sont prises par les membres, ne court pas autant le risque que cela arrive, il y a tant de gens qui apportent de nouvelles idées.

L’exemple allemand

Avec la Suède, l’Allemagne est le seul pays où les pirates ont pris un tel essor politique. Gefion Thürmer estime que le contexte allemand n’est qu’un des aspects qui a contribué à leur succès :

Les Allemands ont certainement attendu un parti qui ne les déçoive pas et essaye vraiment de servir le peuple. Ils sont habitués à  des hommes politiques qui n’écoutent pas leurs besoins ou ne comprennent pas la façon dont la société fonctionne aujourd’hui, avec les nouveaux développements de la société de l’information. Le PP est différent : il part d’une génération qui embrasse ces changements au lieu de les rejeter et essaye d’adapter dans la mesure du possible pour rendre la politique davantage ouverte vers les gens au lieu de décider d’en haut ce qui est le mieux pour eux. Les gens veulent être responsables de leur vie et de leur société et le PP veut mettre tout le monde en capacité de le faire. Vraiment.

Et un des outils de ce qu’ils ont appelé la “démocratie liquide”, c’est LiquidFeedback, une plate-forme pour faire des propositions, les amender, les voter.

Le PP français, qui présentera des candidats aux législatives en juin, commence à suivre l’exemple allemand, même si notre système électoral est moins favorable aux petites formations. Maxime Rouquet détaille leur programme :

C’est une source d’inspiration pour nous. Cette année, nous mettrons en avant cinq thèmes, le libre accès à la culture, l’indépendance de la justice, l’ouverture des données publiques, la défense de la vie privée et la transparence de la vie politique. On commence aussi à prendre positon sur l’écologie. Nous pouvons nous appuyer sur les PP qui sont le plus en avant sur tel thème, comme nous communiquons beaucoup. Avant de faire une proposition, nous voulons bien étudier le dossier.

Histoire de ne pas prendre une petite claque perfide du type de celle du politologue Nils Diederich, rapportée par l’AFP :

Je n’exclus pas qu’ils passent le seuil des 5% pour entrer au Bundestag, mais il leur faudra ajouter un peu plus de substance politique.


Photographie de l’assemblée et graphique via le Parti Pirate de Sarre (CC-BY)
Portrait de Rick Falkvinge par Robin I Rönnlund (CC-by)

  1. le PP suédois a envoyé deux députés au Parlement. []
  2. L’assemblée parlementaire allemande []

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