Les peurs des cyberdéfenseurs

Le 29 octobre 2012

Les responsables français de la cyberdéfense ont parfois des sueurs froides. Le contre-amiral Coustillière et le directeur de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'informations ont décrit quelques scénarios catastrophes la semaine dernière.

Un “Pearl harbor numérique” ? À intervalles réguliers, l’expression revient dans le bouche de responsables de la cyberdéfense, surtout américains. Le sécretaire de la Défense, Léon Panetta, a exprimé ses craintes d’une telle cybercatastrophe lors d’un discours à New York le 11 octobre dernier.

En France, l’expression n’est pas employée en l’état, mais les craintes existent. Elles ont été exprimées publiquement la semaine dernière par les deux principaux responsables de la cyberdéfense. Le contre-amiral Coustillière a été nommé officier général à la cyberdéfense le 1er juillet 2011. Il est entre autres à la tête du centre d’analyse en lutte informatique défensive, le Calid.

“Un espace de confrontation”

Dans son intervention organisée par le cercle Défense et Stratégie mercredi, il a décrit son cauchemar. Un plan simple, en plusieurs temps, qui pourrait aboutir à des dommages irréversibles. Et de rappeler qu’un “changement de dimension” s’est produit depuis quelques années, faisant du cyberespace “un espace de confrontation, quelque soit le nom qu’on lui donne”. Une précaution oratoire pour éviter le terme contesté de cyberguerre…

Le contre-amiral Coustillière a évoqué un plan en trois temps, trois phases distinctes qui ne peuvent être menées que par “une structure” importante, avec un niveau élevé de renseignement. Comprendre, plutôt par un État que par un petit groupe de pirates informatiques.

La première phase vise à désorganiser la cible (là encore un État) : fausses rumeurs et mouvements de protestations sur les réseaux sociaux, attaques par dénis de service (DDoS) sur les sites institutionnels (les sites de députés par exemple), puis attaques de réseaux locaux peu protégés. La seconde phase vise à “désorganiser la société”. Les services de sécurités sont monopolisés, leurs moyens saturés.

En cause : des attaques sur installations vitales, en cherchant “le maillon faible” sur ces systèmes déjà bien protégés, ainsi que de nouvelles attaques par dénis de service ciblant des banques. Le climat est alors propice pour lancer des actions offensives plus complexes, avec des répercussions potentiellement mortelles. Sur les infrastructures de transport par exemple.

L’âge du cyberespionnage

Ainsi dépeint, le tableau ressemble à une dystopie cyberpunk. Un scénario catastrophe plus lointain que l’espionnage via Internet, grande préoccupation du moment :

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Préoccupation largement partagée par Patrick Pailloux, le directeur de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’informations (ANSSI), second bras armé de la cyberdéfense. Quatre sujets l’empêchent, plus ou moins, de dormir, a-t-il expliqué à l’institut des hautes études de la défense nationale : la cybercriminalité, les tentatives de déstabilisation, le sabotage et le cyberespionnage donc.

“À côté de ce qui se passe aujourd’hui, c’était de la gnognote la guerre froide” attaque-t-il. Un modus operandi basique par exemple, disponible au patron un peu dégourdi qui traîne “sur des forums underground”, parle anglais et dispose de quelques centaines d’euros. Usurper l’identité d’un proche de la cible (au hasard, un concurrent), envoyer un email depuis cette fausse identité à la cible.

Au mail est attaché une pièce jointe, un cheval de Troie, acheté sur Internet. “Des usines à fabriquer des virus” permettent de changer les signatures chiffrées des logiciels malveillants. En somme, d’empêcher les antivirus de les identifier et donc de les rendre inopérants. Un peu de débrouillardise, quelques poignées d’euros et un zeste de renseignements suffisent pour obtenir des informations confidentielles sur ses concurrents. Des pratiques interdites, mais courantes.

Conclusions communes des deux hauts responsables : améliorer l’hygiène informatique et préparer la résilience des citoyens. A cette fin, une réserve citoyenne pour la cyberdéfense est en cours de création et les cyberdéfenseurs se chargent de faire passer le message.


Photo par Teymur Madjderey [CC-byncnd]

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