Droit à l’oubli: vos papiers s’il vous plaît

Le 7 mai 2010

Pour fêter les dix ans des Big Brother Awards, la soucoupe a proposé à Jean-Marc Manach (Bug Brother sur LeMonde.fr, et manhack sur Twitter), l'un de ses organisateurs, de revenir un peu plus en détail sur certains des candidats nominés cette année. PagesJaunes compte parmi les nominés.

Le groupe PagesJaunes a une drôle de conception du “droit à l’oubli“. Pour disparaître de son nouveau “méta-annuaire de personnesrépertoriant tout à trac nos adresses postales et e-mails, téléphones fixes, mobiles ou sur IP, mais également nos profils sur les réseaux sociaux de type Facebook, Copains d’Avant, il faut lui envoyer… la photocopie d’une pièce d’identité, en clair, via un formulaire Internet non sécurisé, au mépris des plus élémentaires règles de sécurité informatique.

Le formulaire de droit à l'oubli des Pages Jaunes

PagesJaunes a racheté 123People, un site autrichien particulièrement intrusif qui publie tout ce qu’il trouve sur vous sur le Net, sans jamais vous le demander. PagesJaunes est le spécialiste des annuaires et du « marketing relationnel ».

Sorti du giron de France Télécom en 2006, il appartient désormais au fonds d’investissement KKR, et figure au “6ème rang mondial des sociétés en termes de chiffre d’affaires publicitaire sur Internet – les 5 premiers rangs étant occupés par des sociétés américaines“.

Comme le souligne Rue89, 123 People, moteur de recherche un temps réel de personnes ou, plus particulièrement, de leur réputation numérique, à savoir “l’image que les internautes se font de vous en recherchant des informations vous concernant sur Internet“, “c’est un peu la rencontre entre Google et les renseignements généraux“, répertoriant nos adresses, téléphones, publications professionnelles et perso, propos tenus dans les forums, profils dans les réseaux sociaux, photos…

Sur la page sobrement intitulée “CONTRÔLE D’IDENTITÉ NUMÉRIQUE” (sic), 123people explique qu’

il vous est enfin possible de surveiller et de contrôler votre identité numérique de manière simple et claire” et, plus particulièrement, de sa réputation numérique, à savoir “l’image que les internautes se font de vous en recherchant des informations vous concernant sur Internet“.

123people indexe ainsi notre : “empreinte numérique, (qui) se compose de l’ensemble des traces que vous laissez derrière vous, généralement sans vraiment vous en rendre complètement compte, à la vue de tous, en utilisant les services d’Internet” (recettes sur Marmiton, interventions et commentaires sur les médias sociaux, signatures de pétitions, etc.), notre “identité numérique, que vous êtes censés plus directement maîtriser, qui vous définit et vous caractérise sur Internet (et qui) est ce que vous avez envie de publiquement montrer de vous sur Internet” (CV, comptes Facebook, Twitter ou Flickr, blog perso, etc.), mais également “ ce que les autres ont dit de vous sur Internet” (en commentant des photos, sur des blogs ou forums, votre compte Facebook, etc.).

Dans un billet intitulé Réputation numérique – Identité numérique – Empreinte numérique : comment ça marche ?, 123people rappelle que le web est un espace public, et que ce qu’on y publie a vocation à être indexé par les moteurs de recherche :

Que vous le vouliez ou non, vous existez sur Internet, et il y a désormais peu de chance que l’inverse se produise. C’est le sens de l’histoire que d’avoir des données nous concernant accessibles sur le web public. Ne pas le voir est excusable. Ne pas le vouloir revient à avoir envie de se battre contre des moulins à vent.

Alors, puisque c’est le sens de l’histoire, choisissez donc de prendre tout ceci en main : faites un peu plus attention à votre empreinte numérique, soignez votre identité numérique et partez à la découverte de votre réputation numérique.

Nous suivons les directives très strictes de la loi autrichienne sur la Protection des Données Privées étant donné que notre siège est à Vienne, Autriche. Nous ne stockons aucunes données et ne créons pas de profils. Cela signifie que nous ne sommes pas en mesure de distinguer et de séparer les différentes personnes affichées dans nos résultats de recherche, mais uniquement entre leurs noms.

Trois jours après le rachat de 123people PagesJaunes intègrait les réseaux sociaux dans PagesBlanches.fr, afin d’associer les recherches de personnes avec leurs profils sociaux :

en clair, lorsque vous cherchez des informations sur une personne en utilisant PagesBlanches, le site vous affiche les informations traditionnelles d’adresse et de numéro de téléphone, mais il y associe également des informations sur les réseaux sociaux sur lesquels cette personne possède un profil public (c’est-à-dire un profil que la personne en question a choisi de rendre accessible à tous)“, ce que Pagesblanches.fr qualifie de “méta-annuaire de personnes (adresse postale, téléphone fixe ou sur IP, mobile, mail, profils sociaux…)“.

Or, croisée avec Pages Jaunes, cette fiche donne immédiatement accès à vos coordonnées complètes, si vous n’avez pas pris la précaution de vous inscrire en liste rouge.

Ceux qui voudraient contrôler et gérer leur empreinte numérique (qui “se compose de l’ensemble des traces que vous laissez derrière vous, généralement sans vraiment vous en rendre complètement compte, à la vue de tous, en utilisant les services d’Internet“) sont invités à contacter la source d’origine référencée sur 123people, “ car la suppression de ces données est hors de notre sphère de compétence“, puis à contacter 123people pour désindexer de leurs propres serveurs les pages qu’ils n’arrivent pas à corriger par ailleurs et, enfin, à faire appel à des “services professionnels qui peuvent gérer votre identité numérique en vous aidant à effacer les informations gênants ou obsolètes de la source d’origine“.

Le groupe PagesJaunes, de son côté, a voulu “simplifier” le “droit à l’oubli“. Ceux qui ne voudraient pas voir accoler leurs coordonnées postales et téléphoniques avec leurs profils sur les réseaux sociaux sont invités à lui envoyer… la photocopie d’une pièce d’identité, en clair, via un formulaire Internet non sécurisé, au mépris des plus élémentaires règles de sécurité informatique…

La CNIL se dit “incompétente dans ce dossier” : 123people est déclaré auprès de la commission équivalente en Autriche, et selon la directive européenne de 1995 sur les données personnelles, la traduction française du site n’a pas à être soumise à la Cnil…

Captures d’écran d’un échange de tweets entre Nathalie Kosciusko-Morizet, maire de Longjumeau, Secrétaire d’État à la Prospective et au Numérique, numéro 2 de l’UMP et initiatrice d’un débat sur le “droit à l’oubli”, et un certain nombre d’internautes pour qui 123people n’est précisément pas tout à fait le modèle à suivre pour ce qui est du “droit à l’oubli”.

Illustration CC Flickr par Kat.B.Photography

Photo de Une CC Flickr par murplejane

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