Les télécoms gagnent Bruxelles

Le 10 octobre 2011

Loin des discours officiels favorables à un Internet libre, la Commission européenne ne cesse de faire cause commune avec les industriels des télécoms. Le 3 octobre dernier, la commissaire Neelie Kroes donnait des gages importants à leurs lobbyistes.


Entre Neelie Kroes et les opérateurs, c’est décidément le grand amour. La commissaire européenne en charge de la “société numérique” a réaffirmé son attachement aux idées des industriels des télécoms, lors d’une rencontre entre professionnels, le 3 octobre à Bruxelles.

Sur la fin de l’illimité ou les infrastructures, en particulier la fibre optique, Neelie Kroes s’est montrée très favorable aux “opérateurs en place”. Ultime témoignage de la victoire du lobby des télécoms à Bruxelles, comme OWNI le signalait en juillet dernier.

L’illimité, meurtrier de l’innovation

L’offensive a été particulièrement dure lorsque la commissaire européenne a évoqué, en fin de discours, la préservation d’un “Internet ouvert” – et non d’un Internet “neutre”, qualificatif évacué depuis longtemps des discours au profit du vocable qui préserve le mieux les intérêts industriels. Un “Internet ouvert” dont Kroes a d’abord rappelé l’“importance”, avant de s’attaquer aux initiatives un peu trop citoyennes à son goût.

Tels les Pays-Bas. En inscrivant le principe de neutralité des réseaux dans leur loi, les Néerlandais ont en effet agacé la commissaire européenne, qui leur reproche “d’avancer unilatéralement sur ce sujet”. Et de rajouter, cinglante :

Nous devons agir à partir de faits, et non dans l’émotion; agir rapidement et sans réflexion peut être contre-productif.

Exemple de décisions rapides, irréfléchies et contre-productives : la conservation des forfaits illimités. Neelie Kroes ajoute sa voix au débat lancé en France par OWNI en déclarant :

Exiger des opérateurs qu’ils fournissent uniquement du “full Internet” pourrait tuer de nouvelles offres innovantes.

“Vous connaissez ma philosophie, lance Neelie Kroes, la meilleure façon de fournir un Internet ouvert est au travers de marchés compétitifs”.

Le nœud gordien de la fibre

Ingrats, les opérateurs ont pourtant trouvé à redire. Sur l’épineuse question des infrastructures et du déploiement de la fibre optique en Europe, ils n’ont pas été pleinement satisfaits par la position de la commissaire, certains la jugeant même de “tout simplement folle”.

Neely Kroes

Neelie Kroes a en effet remarqué la réticence des opérateurs à se lancer dans la fibre, alors même que le cuivre, vecteur de l’ADSL, rencontre encore aujourd’hui un franc succès.

Malheureusement, nous le constatons, pour le moment, les compagnies de télécommunication hésitent à engager des fonds significatifs pour le déploiement de la fibre.

Une remarque accompagnée d’une proposition très commentée par la presse spécialisée : baisser le prix d’accès au réseau ADSL, afin d’inciter les opérateurs à basculer sur la fibre. Présentée comme une “attaque” contre la rente qu’ils entretiennent grâce aux revenus du cuivre, le tableau est pourtant moins rose qu’il n’y paraît. Car si la vice-présidente de la Commission européenne a effectivement évoqué l’éventualité d’une baisse de l’accès au haut débit, celle-ci est bordée d’un ensemble de conditions.

Le premier scénario envisagé par Neelie Kroes aborde certes une “baisse du prix d’accès aux réseaux de cuivre mais celle-ci se ferait “graduellement” et “après un certain temps”. Il se verrait complété d’une seconde approche, qui préserverait les opérateurs qui se montrent conciliants en investissant dans la fibre.

Si le mécanisme est incitatif, il reste néanmoins mesuré, la commissaire européenne soufflant surtout le chaud et le froid. Dans ce même discours, elle affirmait aussi :

J’ai l’impression qu’en l’état, il serait en effet difficile de déployer de nouveaux réseaux fibre compétitifs en parallèle de réseaux de cuivre bon marché.

Soit l’argumentaire des gros opérateurs, qui estiment qu’une diminution des tarifs d’accès au cuivre entraverait l’investissement dans la fibre.

Les régulateurs nationaux bousculés

Seul point positif des dernières annonces de Neelie Kroes : la mise en place de deux consultations publiques sur l’état de la concurrence entre gros opérateurs et fournisseurs d’accès “alternatifs”.

Jusqu’au 28 novembre 2011, les différents acteurs du secteurs sont appelés à s’exprimer sur les conditions d’accès des petits opérateurs aux réseaux des concurrents majeurs. La Commission cherche ainsi à uniformiser les relations entre FAI dans les différents pays européens. Particulièrement visés : les coûts imputés aux opérateurs alternatifs pour se raccorder aux réseaux des plus gros, qui varient d’un État à un autre, et que les régulateurs des télécommunications nationaux sont appelés à examiner.

Le net européen est particulièrement scruté en cette rentrée, puisque la Commission a également lancé un grand programme mesurant la qualité du haut débit en Europe. En parallèle de la réflexion du régulateur français, dont l’outil de mesure toujours à l’étude, pose de nombreux problèmes, le dispositif “Samknows” propose à des internautes volontaires de contribuer à l’évaluation. Mais la méthodologie employée demeure pour le moment opaque.


Illustrations CC FlickR Neelie Kroes EU [cc by-nc] et Timtom [cc-by-nc-sa]

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